La constipation induite par les opiacés est un effet indésirable fréquent de ce traitement et est souvent reconnue de manière retardée, donc mal prise en charge. La constipation est une gêne chez 51 à 87 % des patients recevant des opiacés pour un cancer, et chez 41 à 57 % des patients recevant des opiacés pour une maladie chronique non-cancéreuse.
Elle est directement liée au traitement opiacé du fait de sa fixation sur les récepteurs mu de la sous-muqueuse digestive entraînant un blocage des neurotransmetteurs indispensables à la stimulation motrice du péristaltisme et des autres phénomènes moteurs du tube digestif, une diminution des secrétions digestives et une augmentation de la déshydratation du bol digestif, ainsi qu'une contraction des muscles sphinctériens.
Le diagnostic de constipation induite par les opiacés peut être établi selon les critères de « Rome IV » (présence des 2 critères) :
1. Apparition ou accentuation de symptômes de constipation lors de l'initiation, de la modification ou de l'augmentation des posologies d'un traitement opiacé , en cas de présence de 2 ou plus des items suivants :
(a) nécessité d'efforts de défécation pour plus d'une selle sur 4
(b) selles dures (index BFSF 1-2)* pour plus d'une exonération sur 4
(c) sensation d'exonération incomplète plus d'une fois sur 4
(d) sensation de blocage anorectal pour plus d'une exonération sur 4
(e) nécessité de manœuvres manuelles pour faciliter l'exonération plus d'une fois sur 4
(f) moins de 3 exonérations spontanées par semaine
* index BSFS = Bristol Stool Form Scale
2. Exonérations nécessitant le plus souvent l'usage de laxatifs.
L'examen clinique doit comporter une enquête sur l'exonération intestinale de manière systématique avant toute prescription d'opiacés : enquête sur les habitudes nutritionnelles, la quantité de boissons, l'activité physique, les conditions d'exonération (fréquence, difficultés, résultats). Cette investigation doit être menée activement, car les troubles initiaux sont souvent omis ou négligés par les patients. Le toucher rectal et l'examen de la région anale sont souhaitables afin de connaître les conditions locales qui joueront un rôle important dans le ressenti des effets de la constipation et de ses traitements (recherche de fécalome, d'hémorroïdes, de fissure anale, examen du sphincter anal, etc.). Cet examen est complété par la recherche d'anomalies ioniques (calcémie) ou hormonales (hypothyroïdie), et la recherche d'autres prises médicamenteuses pouvant favoriser la constipation.
Cet examen devra être repris en cours de traitement et en cas de survenue de troubles d'exonération.
Divers index permettent au patient de définir clairement les symptômes (et de suivre l'évolution sous traitement) :
le PAC-SYM (Patient Assessment of Constipation Symptoms),
le PAC-QoL (Patient Assessment of Constipation Quality of Life),
le Knowles Eccersley Scott Symptom Score.
Les plus simples en clinique sont :
le BSFS (Bristol Stool Form Scale) qui évalue forme et consistance des selles,
le BFI (Bowel Function Index) avec 3 items (facilité d'évacuation, sensation d'exonération incomplète et impression générale) concernant les 7 jours précédant l'enquête.
Un score supérieur ou égal à 30 points sur 100 est compatible avec une constipation induite par les opiacés et justifie une prise en charge spécifique.
La prise en charge de la constipation induite par les opiacés doit comporter :
l'information du patient sur la survenue possible de troubles digestifs,
les conseils d'hydratation et d'activité physique (lorsqu'elle est possible).
Les laxatifs osmotiques (tel le macrogol) doivent être prescrits, soit à titre préventifs, soit dès les premiers troubles. La posologie doit être rapidement adaptée en fonction des troubles.
Les laxatifs stimulants (tel le bisacodyl) sont cités par le consensus européen sans discussion, ni niveau de preuve.
Les effets indésirables des laxatifs (distension abdominale, émissions gazeuses, selles urgentes parfois en partie liquides, douleur ou brulure anale lors de l'émission) apparaissent chez de nombreux patients, parfois chez 75 % d'entre eux.
Les patients doivent être avertis de ces effets et encouragés à adapter eux-mêmes le traitement laxatif en prenant en compte leur délai d'action de 24 à 48 h et les sensations éventuellement désagréables lors de l'exonération.
En cas de réponses inadéquate aux laxatifs usuels peuvent être proposés des traitements plus spécifiques.
Les antagonistes des récepteurs aux opiacés (ou récepteurs opioïdes) extra cérébraux, dits périphériques, notamment intestinaux protègeraient le tube digestif des effets de constipation, mais ne diminuent pas l'action cérébrale et donc antalgique des opiacés. Parmi ceux-ci : la méthylnaltrexone voie SC, le naloxégol voie orale, la naldemedine voie orale.
En plus de ces médicaments inhibiteurs spécifiques périphériques, la naloxone, inhibiteur intra et extra SNC a été proposée, administrée par voie orale sous une forme à libération modifiée dite
slow release, dont il est espéré qu'elle sera essentiellement active localement. Elle est présentée en association avec l'oxycodone (
OXSYNIA). L'effet antalgique est proche de celui de l'oxycodone, mais la HAS a estimé que l'effet sur la constipation était mal établi et que le SMR est faible (
avis de la Commission de la Transparence, HAS, mai 2018).
Enfin le prucalopride, prokinétique, agoniste 5HT4, a été proposé. Sa place dans la stratégie thérapeutique n'est pas définie.