Évaluation de l'activité de la maladie
L'activité de la maladie est appréciée par un index clinicobiologique, le Crohn's Disease Activity Index ou CDAI : rémission si CDAI < 150, activité légère entre 150 et 220, modérée entre 220 et 450, sévère au-dessus de 450. Le CDAI tient compte du nombre de selles liquides, des douleurs abdominales, de l'état général, du poids, du taux d'hémoglobine, des manifestations extra-intestinales sur 7 jours. Il permet d'apprécier l'efficacité des traitements dans les essais cliniques, mais n'est pas un bon marqueur de la cicatrisation muqueuse.
Un élément simple d'évaluation est également la fréquence des poussées :
une seule poussée durant une période de 12 mois justifie à priori un traitement corticoïde,
deux poussées ou plus durant une période de 12 mois justifient sans doute d'associer au corticoïde de l'azathioprine ou du méthotrexate.
L'évaluation clinique et l'appréciation de l'activité permettent de définir un certain nombre de situations :
Réponse à une thérapeutique : baisse du CDAI d'au moins 100 points.
Rechute : réapparition des symptômes chez un patient en rémission clinique, avec de préférence confirmation biologique (CRP) ou par imagerie radiologique ou endoscopique. Les rechutes sont qualifiées de précoces si elles surviennent moins de 3 mois après la rémission et de fréquentes s'il y en a au moins 2 par an.
Corticorésistance : maladie toujours active (CDAI > 150) malgré une corticothérapie systémique de 0,75 mg/kg par jour pendant 4 semaines.
Corticodépendance : malades incapables de réduire la corticothérapie en-dessous de 10 mg de prednisolone/prednisone par jour ou de 3 mg de budésonide par jour, dans les 3 mois suivant l'instauration de la corticothérapie, ou patients présentant une rechute dans les 3 mois suivant l'arrêt de la corticothérapie.
Récidive : réapparition des lésions après résection chirurgicale. La récidive peut être endoscopique (gradée selon les critères de Rutgeerts) avec ou sans rechute symptomatique.
Maladie localisée : moins de 30 cm d'iléon atteint avec une atteinte du côlon droit dans les formes iléocoliques (les plus fréquentes).
Maladie de Crohn extensive : plus de 100 cm d'intestin grêle atteint.
Classification des patients
La classification phénotypique de Montréal est fréquemment utilisée pour caractériser les différentes présentations de la maladie, importantes pour évaluer le risque évolutif. Cette classification distingue les formes selon la localisation de la maladie : L1 = iléon terminal, L2 = côlon, L3 = iléon-côlon, L4 = localisation digestive haute et 3 présentations cliniques : B1 = non sténosante, non perforante, B2 = sténosante, B3 = perforante. La lettre p est ajoutée en cas d'abcès ou de fistule péri-anale. Chez un même patient, la localisation reste généralement stable avec le temps tandis que la présentation clinique change passant le plus souvent d'une forme inflammatoire (non sténosante, non perforante) à une forme sténosante ou fistulisante.
Bilan et mesures initiales
Le bilan initial comprend des examens biologiques, NFS-plaquettes, dosage de la CRP, et évalue les carences en fonction de l'état nutritionnel du patient.
Si nécessaire, un traitement symptomatique par antalgiques de palier I ou II et/ou lopéramide peut être instauré. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens doivent, dans la mesure du possible, être évités, en raison du déclenchement possible de poussées. La possibilité ultérieure de traitement par immunosuppresseurs incite à la mise à jour des vaccinations (notamment contre le VHB, l'HPV, ou la varicelle si le patient n'est pas immunisé).
Suivi des patients sous traitement
Une surveillance mensuelle est nécessaire jusqu'au contrôle de la maladie, puis elle est à espacer en fonction de la tolérance et de l'efficacité du traitement. Dès lors qu'un traitement spécifique est prescrit, le rythme de consultation est au minimum semestriel. Un avis spécialisé est conseillé tous les 6 mois si tout va bien.
Le suivi des patients permet de dépister des signes évocateurs de poussée, de complications de la maladie de Crohn, de manifestations extradigestives ou de signes généraux. Des examens biologiques annuels sont utiles, notamment pour rechercher une carence en vitamines et en micronutriments et monitorer la réponse au traitement.
AE La carence en vitamine B 12 est fréquente chez les malades qui ont une résection ou une atteinte iléale. Une carence en vitamine D est également souvent retrouvée.
Une coloscopie de dépistage des lésions dysplasiques est pratiquée, sous anesthésie générale, chez tous les patients qui ont une atteinte colique étendue et ancienne (> 8 ans).
Chez les patients traités par corticoïdes, la glycémie à jeun doit être mesurée à une semaine. Une ostéodensitométrie est à effectuer chez les patients ayant plus de 3 mois cumulés de traitement par prednisone/prednisolone à plus de 7,5 mg par jour. Un examen ophtalmologique est proposé chez les patients traités plus de 6 mois cumulés, à la recherche notamment d'une cataracte ou d'un glaucome. En raison de la fréquente automédication des patients, il est important de repérer tout traitement anormalement prolongé par corticoïdes, celui-ci ne durant généralement pas plus de 3 mois. La survenue d'une fièvre sous corticoïde ou immunomodulateur nécessite une consultation rapide, en sachant que le risque de tuberculose et d'infection opportuniste est à prendre particulièrement en compte sous anti-TNF associé.
Lorsqu'un traitement par azathioprine est envisagé, NFS et plaquettes sont à contrôler hebdomadairement les 2 premiers mois, mensuellement les 4 mois suivants, puis trimestriellement. Le suivi sera d'autant plus important qu'il s'agit d'insuffisants rénaux ou hépatiques, de manière à réduire la dose d'entretien jusqu'à la dose minimum requise pour obtenir une réponse clinique. Le dosage des métabolites, 6-TGN et 6-MMP, est parfois utile pour évaluer l'efficacité et/ou la toxicité du traitement.
Chez les patients traités par méthotrexate, des dosages de NFS, plaquettes, ALAT et gamma-GT sont à effectuer hebdomadairement pendant les 2 premiers mois, mensuellement les 4 mois suivants, puis trimestriellement. La créatininémie est à mesurer tous les 6 mois.
Chez les patients ayant subi une iléostomie, l'ionogramme sanguin, l'urée et la créatininémie permettent d'évaluer des éventuelles pertes hydroélectrolytiques excessives.
Traitement de maintien de rémission
En cas de corticodépendance (30 % des cas), la prescription d'un immunosuppresseur est impérative. On utilise essentiellement l'azathioprine à la posologie de 2,5 mg/kg par jour, quelquefois la 6-mercaptopurine (hors AMM) ou le méthotrexate. Les anti-TNF sont indiqués en cas de résultat insuffisant (corticorésistance) et de corticodépendance non contrôlée par l'azathioprine. Les immunosuppresseurs sont indiqués en cas de rechute précoce (moins de 3 mois après la fin de la poussée), afin de réduire l'exposition aux corticoïdes et le risque de rechutes ultérieures.
Prise en charge chirurgicale
Le traitement chirurgical concerne les maladies de Crohn compliquées : sténose iléale avec syndrome de Koenig invalidant et échec du traitement médical, abcès intra-abdominaux après contrôle de l'abcès par antibiothérapie et/ou ponction, fistule vésicale. La résection intestinale doit être la plus économe possible car la chirurgie ne guérit pas la maladie de Crohn. Les récidives sont constantes, généralement situées au dessus de l'anastomose iléocolique et la moitié des patients opérés nécessitent une réintervention dans les 10 ans. La récidive endoscopique précède la récidive clinique de 2 à 3 ans. Il n'existe pas de traitement véritablement efficace dans la prévention des récidives. L'azathioprine diminue la fréquence des récidives, mais est surtout employée en cas d'atteinte extensive du tube digestif ou après une 2e résection. Les anti-TNF sont indiqués dans les formes étendues ou en cas de récidive endoscopique rapide à la coloscopie de contrôle 9 mois après le geste chirurgical.