Évaluation de la sévérité de la maladie
En pratique usuelle, l'évaluation de la sévérité est clinique. Elle repose sur l'état nutritionnel du patient et l'existence éventuelle de complications.
Une classification reconnue est celle du score de Child-Pugh. Elle suppose évidemment que le diagnostic de cirrhose ait été posé avec certitude. La gravité de la maladie augmente avec la valeur du score qui est obtenue par la somme de l'ensemble des points du tableau suivant : entre 5 et 6 points, classe A ; entre 7 et 9 points, classe B ; entre 10 et 15 points, classe C.
| 1 point | 2 points | 3 points |
Encéphalopathie (grade) | absente | grades 1 et 2(1) | grades 3 et 4(1) |
Ascite | absente | minime | modérée |
Bilirubine totale (μmol/l) | < 35 | 35 à 50 | > 50 |
Albumine (g/l) | > 35 | 28 à 35 | < 28 |
Taux de prothrombine (%) | > 50 | 40 à 50 | < 40 |
(1) Pour les grades de l'encéphalopathie, voir Prise en charge : troubles de la conscience.
Prévention du risque iatrogène chez le cirrhotique
Les risques liés aux explorations et aux traitements médicaux constituent un réel danger pour le patient cirrhotique, dont le suivi s'étend sur une longue période. Il convient de le protéger contre ces risques.
Aucun geste n'est anodin chez le cirrhotique. La ponction exploratrice d'ascite, en particulier, entraîne un risque infectieux du fait de la sensibilité des insuffisants hépatiques aux infections et de la fréquence de l'infection péritonéale.
La prescription des diurétiques, salidiurétiques ou épargneurs de potassium peut entraîner des désordres hydroélectrolytiques avec hyponatrémie parfois sévère, hypo ou hyperkaliémie. Ces anomalies doivent être dépistées. Elles favorisent l'insuffisance rénale et l'encéphalopathie hépatique.
Les ponctions d'ascite abondantes et réitérées peuvent entraîner les mêmes désordres.
L'encéphalopathie d'accumulation médicamenteuse est caractéristique de l'insuffisance hépatique. Lorsqu'un médicament est administré de manière régulière, ses concentrations plasmatiques peuvent s'élever durant une période qui est de l'ordre de 5 demi-vies (5 fois la demi-vie d'élimination de ce médicament). Par exemple, la demi-vie d'élimination plasmatique d'une benzodiazépine peut être de 24 ou de 48 heures chez le sujet sain. Si la benzodiazépine est administrée chaque jour au sujet sain, les concentrations plasmatiques s'élèvent alors pendant 5 à 10 jours. Chez l'insuffisant hépatique, la demi-vie d'élimination peut être allongée jusqu'à 5 jours ou plus. Dès lors, le médicament administré à la dose usuelle pourra s'accumuler pendant 25 jours ou davantage. À la posologie « usuelle » au fil des jours, l'accumulation entraînera des concentrations plasmatiques toxiques. Somnolence, obnubilation, lipothymies, troubles du comportement, parfois interprétés comme symptômes d'une encéphalopathie hépatique, ou d'un delirium, seront en fait liés à l'accumulation d'un médicament « anodin » prescrit à une posologie « usuelle ».
Toute administration de psychotrope ou de sédatif peut être délétère chez le cirrhotique. Il convient évidemment d'éviter la prescription réitérée des psychotropes, des benzodiazépines anxiolytiques et des hypnotiques, mais aussi de se méfier des sédatifs comme les opiacés, la codéine antidiarrhéique ou antitussive, les antihistaminiques H1 sédatifs, les barbituriques et les antidépresseurs tricycliques. En outre, si survenait un trouble de la conscience, l'élimination du médicament prendrait plusieurs jours du fait de l'insuffisance hépatique associée.
D'autres risques médicamenteux guettent le patient cirrhotique. Les anomalies hémodynamiques, l'insuffisance hépatocytaire, l'hypoalbuminémie, la tendance hémorragique, la cholestase éventuelle sont autant de facteurs augmentant le risque médicamenteux chez le patient cirrhotique.
Les médicaments à métabolisme hépatocytaire et/ou excrétion biliaire ont une demi-vie d'élimination augmentée, et des ajustements posologiques sont donc nécessaires. Ainsi, les administrations de propranolol doivent souvent être espacées.
Les médicaments hépatotoxiques peuvent être plus dangereux chez le cirrhotique. C'est le cas du paracétamol (qui doit être prescrit en cures courtes et à une dose limitée à 3 g par jour en cas de cirrhose non compliquée), de l'azathioprine, des antituberculeux (isoniazide, pyrazinamide, rifampicine), des antirétroviraux, de la clindamycine, des cyclines, de la lincomycine, de la péfloxacine, des sulfamides, du métronidazole, de la flécaïnide et des IEC.
Les AINS peuvent entraîner une hémorragie (notamment digestive) et faciliter la survenue d'une insuffisance rénale (syndrome hépatorénal). L'héparine, les antivitamines K et les anticoagulants oraux à action directe sont a priori contre-indiqués du fait du risque hémorragique majeur.
Les médicaments antihypertenseurs ou diminuant le flux sanguin rénal doivent être évités en cas d'ascite.
Les aminosides doivent être évités.
Les biguanides peuvent entraîner une acidose lactique grave. Les antidiabétiques hypoglycémiants sont de prescription difficile du fait du risque d'hypoglycémie.
La colchicine et l'ergotamine sont contre-indiquées.
Les produits de contraste doivent être utilisés avec précaution.