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Physiopathologie de l’hyperkaliémie

Pr. Vincent L.M Esnault, service de Néphrologie-Dialyse-Transplantation, CHU de Nice

 

Kaliémie normale et pathologique

Le potassium est le principal ion intracellulaire du fait de l’activité continue d’une Na+K+-ATPase ubiquitaire qui fait entrer 2 molécules de K+ en échange de la sortie de 3 molécules de Na+. La concentration intracellulaire de K+ est de 100 à 140 mosmol/L alors que la kaliémie est de 4 à 4,5 mosmol/L. A l’inverse, la natrémie est de 140 à 145 mosmol/L pour une concentration intracellulaire de Na+ de 4 mosmol/L. La kaliémie est considérée comme anormalement basse < 3,6 mmol/L et élevée > 5 mmol/L. Il existe donc comme pour toutes les variables biologiques, des zones de « gris » entre 3,6 et 4 mmol/L et entre 4,5 et 5 mmol/L, où la kaliémie est subnormale (KDIGO. 2024.  Kidney Int 2024,105,S117-S324). 98% du potassium de l’organisme est donc contenu dans les cellules de l’organisme, principalement dans les muscles, et seul 2% du potassium est présent dans les fluides extracellulaires.

Homéostasie du potassium

Elle est sous la dépendance de deux balances (Figure 1) :

Figure 1 : Homéostasie du potassium

1/ Balance externe :

Les apports alimentaires de potassium sont en moyenne de 70-75 mmol/jour, intégralement absorbés. L’essentiel devra être excrété dans les urines (70 mmol/jour) pour maintenir l’homéostasie car seule une faible quantité de K+ va être excrétée dans les selles (5-10 mmol/jour). Toutefois, le régime alimentaire modifie non seulement la quantité de potassium apporté mais aussi la capacité à absorber ce potassium ou à l’excréter dans les selles. Une restriction sévère en fruit et en légume va diminuer les apports en fibres alimentaires, favoriser la constipation et diminuer la capacité à excréter du potassium dans les selles. Les charcuteries industrielles sont des produits transformés contenant des additifs qui enrichissent leur contenu en potassium sous une forme directement assimilable (KDIGO. Kidney Int 2024,105 (Suppl 4S):S117–S314). Les sels de régime apportent aussi du potassium directement assimilable.

Le potassium est librement filtré par les glomérules et 98 à 99 % va être réabsorbé principalement dans le tubule proximal et la branche ascendante large de l’anse de Henlé. Ainsi, seul 1 à 2% du potassium filtré se retrouve à l’entrée du tubule collecteur, et l’homéostasie du potassium nécessite donc une excrétion urinaire dans ce tubule collecteur sous la dépendance de plusieurs facteurs :

  • L’aldostérone stabilise le canal sodé épithélial (ENaC) sur la membrane apicale des cellules principales, favorisant l’entrée du Na+, et stimule la Na+K+-ATPase qui permet la sortie du Na+ au pôle basolatéral contre une entrée de K+ dans la cellule (Figure 2). Le K+ va ensuite diffuser vers les urines par le canal ROMK car ENaC a créé une différence de potentiel transluminal lumière négative. Il faut noter que la stabilisation de ENaC après fixation de l’aldostérone sur le récepteur des minéralocorticoïdes (RM) est un processus long qui nécessite la translocation du complexe RM-aldostérone dans le noyau de la cellule principale pour induire la production de SGK-1 qui va inhiber Nedd4-2 qui sinon favoriserait la dégradation de ENaC dans le protéasome. Cela implique un délai d’environ 24h pour que l’aldostérone permette de retenir efficacement du Na+, et le même délai pour qu’après l’élimination d’un antagoniste des RM, l’aldostérone puisse à nouveau retenir du Na+ et permettre l’excrétion de K+.
  • L’augmentation du débit de fluide tubulaire délivré au tubule collecteur, essentiellement dépendant de la charge sodée, augmente la sécrétion distale de potassium. En effet, l’augmentation du sodium dans le fluide tubulaire stimule la réabsorption active du Na+ et la Na+K+-ATPase sur la membrane basolatérale, participant à augmenter le gradient transépithélial de potassium avec la dilution du potassium dans l’urine distale.
  • L’augmentation de la kaliémie stimule l’aldostérone mais aussi stimule directement la Na+K+-ATPase et donc le gradient transépithélial de potassium, et augmente ainsi la sécrétion urinaire du potassium dans le canal collecteur.
  • Une acidose métabolique aiguë stimule l’activité de la H+K+-ATPase, et favorise donc la sécrétion de H+ pour compenser l’acidose au prix d’une réabsorption de K+. Une alcalose métabolique stimule la sécrétion de K+.
  • Les glucocorticoïdes et la vasopressine stimulent aussi l’excrétion distale de K+.

Une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG) n’aboutirait que tardivement à une diminution de la capacité à éliminer le potassium par les reins en l’absence de médicaments inhibant la sécrétion du potassium dans le tubule collecteur. En pratique, la majorité des patients présentant une maladie rénale chronique reçoivent des médicaments inhibant le système rénine-angiotensine-aldostérone (voir ci-dessous) et donc la prévalence de l’hyperkaliémie augmente de 2% pour des DFG entre 60 et 89 ml/min/1,73m2 à 42% pour des DFG inférieurs à 20 ml/min/1,73m2 (Moranne. JASN 2009,20,164-71).

Figure 2 : Régulation de l’excrétion rénale du potassium : rôle de l’aldostérone

ARM : Antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes
iENac : Inhibiteur du canal ionique non-voltage-dépendant

2/ Balance interne :

La Na+K+-ATPase ubiquitaire favorise la rétention de potassium dans toutes les cellules de l’organisme, et en particulier dans les cellules musculaires. L’activité de cette la Na+K+-ATPase est modulée par de nombreux facteurs :

  • Une stimulation b-adrénergique stimule directement l’activité de la Na+K+-ATPase, favorisant l’entrée du K+ dans les cellules (Figure 3a).
  • L’insuline stimule l’échangeur sodium-proton NHE1 ubiquitaire, favorisant l’entrée du Na+ dans les cellules, qui va stimuler la Na+K+-ATPase, favorisant l’entrée du K+ dans les cellules (Figure 3a).
  • L’acidose métabolique minérale, sans trou anionique augmenté, inhibe NHE1 et NBCe, diminuant l’entrée de Na+ et l’activité de la Na+K+-ATPase, et donc augmente la kaliémie (Figure 3b). En présence d’un anion indosable (AO-), les H+ entrent dans les cellules par MCT1/4, permettant l’activité de NHE1 et donc l’entrée de Na+ et le maintien de l’activité de la Na+K+-ATPase (Figure 3b) (Palmer. AJKD 2019,74,682-95).
  • De nombreuses situations pathologiques associées à une destruction massive de cellules aboutissent à la libération d’une quantité très importante de potassium : hémolyse, rhabdomyolyse, chimiothérapie…

Figure 3 : Modulation de l’activité de la Na+K+-ATPase ubiquitaire
3a : La stimulation b-adrénergique et l'insuline augmentent l’activité de la Na+K+-ATPase et favorisent l’entrée du potassium dans les cellules.

3b : L’acidose minérale sans anion indosable inhibe NHE1 et NBCe, diminuant l’entrée de Na+ et l’activité de la Na+K+-ATPase, et donc augmente la kaliémie. En présence d’un anion indosable (AO-), les H+ entrent dans les cellules par MCT1/4, permettant l’activité de NHE1 et donc l’entrée de Na+et le maintien de l’activité de la Na+K+-ATPase.

Explication physiologique des problèmes de dosage de la kaliémie

Les deux artefacts les plus fréquents augmentant la kaliémie sont les prélèvements effectués à domicile et un poing serré trop longtemps, mais l’utilisation d’un garrot n’a pas d’impact significatif (Don. NEJM 1990, 322:1290-2). En effet, un délai de centrifugation va aboutir à l’épuisement du stock d’ATP des globules rouges, qui ne permettra plus l’activité de la Na+K+-ATPase aboutissant à une sortie du potassium des cellules sans hémolyse apparente. Deux situations vont amplifier ce phénomène : un taux de leucocytes et de plaquettes élevé et des températures basses qui inhibent encore davantage l’activité de la Na+K+-ATPase (Lano. Nephrol Dial Transplant 2022,37:991-3). Quand le poing est serré, les muscles du bras libèrent du potassium dans les veines effluentes utilisées pour le prélèvement (Don. NEJM 1990, 322:1290-2).

Médicaments modifiant l’homéostasie du potassium

Les natriurétiques vont tous interférer avec l’excrétion urinaire du potassium (Gérard. Pharmaceutics 2022,14,1569) :

  • Les diurétiques distaux diminuent l’excrétion distale de K+ soit en diminuant directement l’activité du canal sodé épithélial ENaC soit indirectement en antagonisant l’interaction de l’aldostérone avec le récepteur aux minéralocorticoïdes.
  • Tous les autres diurétiques agissant en amont du collecteur favorisent l’excrétion urinaire de K+ en augmentant plus ou moins le contenu en sodium du fluide tubulaire distal selon leur pouvoir natriurétique. Les diurétiques de l’anse sont les plus puissants natriurétiques par l’inhibition du co-transport Na+K+2Cl- au niveau de la branche ascendante large et augmentent donc fortement l’excrétion distale de K+ (Figure 4a). Les thiazides inhibent le co-transport Na+Cl- du tube contourné distal (Figure 4b). Les inhibiteurs du co-transport sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) inhibent la réabsorption équimolaire de Na+ et de glucose dans le tubule proximal. Les inhibiteurs spécifiques de l’anhydrase carbonique, bloquent indirectement un échangeur sodium-proton (Figure 4c).

Les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion et antagonistes des récepteurs de la rénine) inhibent finalement l’activité de l’aldostérone et donc réduisent la sécrétion distale de K+.

Les b-bloquants, en plus de l’inhibition de la Na+K+-ATPase ubiquitaire, inhibent la rénine et donc le système rénine-angiotensine-aldostérone. Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens ont aussi une action anti-rénine.

À forte dose, les diaminopyrimidines à usage antibiotique bloquent ENaC, limitant la sécrétion de K+ distale.

Figure 4 : Sites d’action des natriurétiques
4a : Tubule contourné proximal : les gliflozines inhibent SGLT2 et les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique inhibent indirectement NHE3.

4b : Branche ascendante large de l’anse de Henlé : lesdiurétiques de l’anse bloquent NKCC2

4c : Tubule contourné distal : les thiazides bloquent NCCT

Conclusion :

L'hyperkaliémie, caractérisée par des taux sériques élevés de potassium, résulte d'une interaction complexe de facteurs influant sur l'homéostasie du potassium. Les principaux mécanismes physiopathologiques comprennent une diminution de l'excrétion rénale, des modifications de la distribution du potassium et/ou un apport excessif en potassium. Il est nécessaire de comprendre ces mécanismes pour une prise en charge et un traitement efficaces. Certains patients peuvent toutefois présenter des élévations transitoires du potassium sans conséquences graves, en particulier si les affections sous-jacentes sont prises en charge efficacement.

Dans d’autres cas, l’hyperkaliémie représente une urgence médicale potentiellement grave qui nécessite une intervention rapide.

 

FR-23073 - 09/2025