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La prise d’IPP associée à une augmentation du risque d’insuffisance rénale chronique

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des médicaments qui inhibent durablement la production d'acide par l'estomac. Pour cette raison, ils sont devenus le traitement de référence des ulcères et d'autres pathologies liées à l'acidité gastrique depuis le début des années 90.

En conséquence, ils sont prescrits à des millions de personnes dans le monde. Cette large utilisation couplée au nombre d'années d'utilisation permettent, désormais de détecter des risques qui n'étaient pas visibles sur les petits échantillons des essais cliniques.

La dernière grande étude en date sur la tolérance au long cours des IPP est une étude observationnelle publiée dans JAMA Internal Medicine en février 2016.

Les résultats de cette étude, qui portait sur 
 plus de 260 000 patients suivis pendant 6 à 14 ans, indiquent que la prise d'IPP est associée à une augmentation de 20 à 50 % du risque de développer une insuffisance rénale chronique.

Les auteurs suggèrent que cet effet est à rapprocher du risque de néphrite interstitielle, bien documenté pour cette classe thérapeutique.

Ce surrisque d'insuffisance rénale, ainsi que d'autres surrisques, rappellent la nécessité d'un bon usage des IPP (indication, durée d'utilisation) et d'une sensibilisation sur la recherche d'éventuels effets indésirables par les professionnels de santé, d'autant que ces médicaments sont, depuis 2009, également disponibles à la vente dans ordonnance en France. 
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Les IPP sont devenus les principau traitements mpédicamenteux des pathologies liées à l'acidité de l'estomac (illustration).

Les IPP sont devenus les principau traitements mpédicamenteux des pathologies liées à l'acidité de l'estomac (illustration).


Ce qui était déjà connu : les IPP augmentent le risque de néphrite interstitielle
La prise d'inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) augmente légèrement le risque de néphrite interstitielle (British Journal of Clinical Pharmacology, 2007). Cet effet indésirable rare est d'ailleurs signalé dans l'ensemble des résumés des caractéristiques des produits (RCP) de cette classe thérapeutique.

Pour mémoire, la néphrite interstitielle aiguë (NIA) est, dans 85 % des cas, un effet indésirable de médicaments, généralement en lien avec une réponse allergique. Le plus souvent, les principes actifs incriminés sont des antibiotiques, des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des anti-épileptiques, voire des diurétiques. Cette NIA peut se compliquer en insuffisance rénale aiguë (IRA) et, lorsqu'elle devient chronique, en insuffisance rénale chronique (IRC).

La littérature médicale a donc déjà envisagé la possibilité qu'une prise au long cours des IPP puisse aggraver le risque d'IRC, en évoquant comme possible mécanisme d'action la chronicisation de la néphrite interstitielle.
 
Deux cohortes observationelles pour étudier le risque d'insuffisance rénale chronique sous IPP
Une équipe du département d'épidémiologie de la John Hopkins University à Baltimore, menée par Morgan E. Grams, a mesuré le risque de développer une IRC dans deux cohortes américaines : une cohorte de 10 500 patients créée autour du risque d'athérosclérose (Atherosclerosis Risk in Communities Study, ARCS) et une cohorte composée d'environ 250 000 patients d'une organisation de soins (HMO), le Geisinger Health System, en Pennsylvanie rurale.

L'IRC était soit définie soit par un diagnostic dûment enregistré, soit par un débit de filtration glomérulaire inférieur à 60 ml/min/1,73m2 (stade 3A et au-delà).

Les données des deux cohortes ont été étudiées sur une durée allant de 6 (cohorte HMO) à 14 ans (cohorte ARCS). De nombreuses analyses du risque relatif à l'usage des IPP ont été menées, en particulier en comparant les patients prenant des IPP à ceux prenant des anti-histaminiques H2 (traitement médicamenteux de référence des pathologies liées à l'acidité de l'estomac, avant la mise sur le marché en 1989 des IPP). La prise des IPP était auto-déclarée dans la plus petite cohorte, mais documentée par des prescriptions dans la cohorte de la HMO.
 
Un risque d'IRC majoré de 20 à 50 % par les IPP 
Les résultats de cette étude observationnelle, publiés en février 2016 dans JAMA Internal Medicine, confirment les soupçons d'augmentation du risque d'IRC sous IPP.

Dans la cohorte liée au risque d'athérosclérose, la prise d'IPP était systématiquement associée à une augmentation de 35 à 50 % du risque d'insuffisance rénale chronique, que les comparaisons soient ajustées ou non pour des critères démographiques, socio-économiques ou cliniques, ou pour la durée totale de la prise d'IPP (rapport du risque instantané (HR) non ajusté 1,45 ; HR ajusté de 1,35 à 1,50).

La comparaison entre les personnes prenant des IPP et celles prenant des anti-histaminiques H2 a confirmé cette aggravation du risque, avec une augmentation de 39 % (HR 1,39).

Dans la cohorte de la HMO, l'aggravation du risque d'IRC associée à la prise d'IPP était également robuste (HR 1,24). De plus, cette aggravation était plus forte chez les patients prenant des IPP matin et soir, par rapport à ceux traités une fois par jour (HR, 1,46 vs. 1,15).

Ainsi, globalement, la prise d'IPP semble être associée à une augmentation du risque d'IRC de 20 à 50 %.
 
Une étude solide malgré quelques biais possibles
Cette étude observationnelle, malgré sa durée et le nombre de patients considérés, présente des limites que l'équipe de Baltimore a cherché à contrôler. La prise d'IPP était plus fréquente chez les personnes obèses, hypertendues et polymédiquées : des ajustements ont été faits, sans perte de l'effet observé.

De plus, la cohorte HMO, plus vaste, a permis d'éliminer d'autres biais éventuels, par exemple une meilleure surveillance de la fonction rénale chez les patients sous IPP. Néanmoins, les IPP étant en libre accès dans les pharmacies américaines, la question de prises non documentées se pose, qui pourrait avoir augmenté le HR en cas d'usage "abusif" par les patients habitués aux IPP.
 
En conclusion
Les auteurs concluent que des arguments solides existent désormais qui indiquent que les IPP, mais pas les anti-histaminiques H2, augmentent le risque d'IRC. 

Le mécanisme de cet effet reste à confirmer, mais pourrait être lié à celui responsable de l'augmentation, bien documentée, du risque de néphrite interstitielle chez les personnes qui prennent des IPP.

Pour le Dr Benjamin Lazarus, premier auteur de cette publication et interrogé en octobre 2015, lors de la présentation des premiers résultats de cette étude, la meilleure connaissance des effets indésirables potentiels des IPP devrait permettre de "concevoir de meilleures interventions visant à réduire l'utilisation excessive" ou inappropriée de ces médicaments.

Rappelons à ce sujet que les IPP font partie des médicaments les plus prescrits en France, et qu'environ 15 % seraient prescrits en dehors de leurs indications (AMM), selon une étude de 2009 de l'Assurance Maladie. Par ailleurs, ils sont en vente libre en officine depuis juillet 2009 (automédication).  
 
Pour aller plus loin
 
L'étude de JAMA Internal Medicine par l'équipe de la John Hopkins University
Lazarus, B et al. Proton Pump Inhibitor Use and the Risk of Chronic Kidney Disease. JAMA Intern Med. 2016;176(2):238-246.
 
Une revue sur la néphrite interstitielle aiguë et ses origines médicamenteuses
von Wattenwyl T. et Sandoz P. Néphrites interstitielles aiguës. Forum Med Suisse, No 38, 17 septembre 2003, pp. 891-897.
 
Une étude de référence sur le risque de néphrite interstitielle aiguë liée aux IPP
Härmark L et al. Proton pump inhibitor–induced acute interstitial nephritis. Br J Clin Pharmacol. 2007;64(6):819-823.

L'étude de l'Assurance Maladie de 2009 sur la prescription des IPP en France

Acid reflux medications may increase kidney disease risk, Sciencedaily.com, 27 octobre 2015

Sur VIDAL.fr : 
VIDAL Reco "Prescription et populations particulières : Médicaments et fonction rénale"
VIDAL Reco "Insuffisance rénale chronique"
Insuffisance rénale chronique : la HAS publie 3 outils pour améliorer les parcours de soins (octobre 2015)
Sources

Commentaires

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sophiesdoc Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Vu le nombre de patients sous IPP en France, un risque aussi fort n'aurait il par été vu? Et j'ai aussi bon nombre de patients qui prennent les IPP du conjoint ou de la voisine ou de l'libuprofene pris en pharmacie alors que je leur ai déjà signalé que c'était dangereux ...car atcd d'ulcère et où IRA déjà. De plus Mopral en vente libre format 7 jours en France ....La vente va-t-elle changer avec cette étude ? ..
nehrmann&free.fr Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Très intéressant
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