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Epilepsie, traitée ou non, et grossesse : analyse des éventuels surrisques d’évènements indésirables

Les autorités de santé européennes ont émis fin 2014 des recommandations visant à restreindre l'utilisation des médicaments contenant du valproate de sodium et dérivés, en particulier chez la femme en âge de procréer et chez la femme enceinte. 
 
Dans ce contexte, une méta-analyse de 38 études, incluant le suivi de plus de 2,8 millions de grossesse, clarifie les risques encourus en cas d'épilepsie, traitée ou non.
 
Selon cette vaste méta-analyse, dont les résultats ont été publiés dans The Lancet du 7 novembre 2015, la grossesse des femmes épileptiques, avec ou sans traitement, est associée à une augmentation, modérée mais significative, de plusieurs risques, dont celui de fausse couche, d’hémorragies maternelles et de retard de croissance pour le fœtus.
 
En ce qui concerne les médicaments, davantage d’hémorragies, de retards de croissance intra-utérins et d’admissions en unités de soins intensifs néonatals ont été constatés chez les femmes enceintes sous anti-épileptiques.
 
Par contre, les taux de diabète gestationnel, de naissance très prématurée, de mort fœtale ou périnatale ne diffèrent pas entre les femmes épileptiques (traitées ou non) et non épileptiques.
 
Au total, cette méta-analyse est plutôt rassurante sur la possibilité de mener une grossesse non compliquée en cas d’épilepsie, mais souligne à nouveau la nécessité d’informer sur les risques potentiels et de surveiller davantage ces grossesses.
 
Les autres études menées permettent d'ajouter qu’il faut aussi éviter le valproate, dans la mesure du possible, et privilégier un anti-épileptique non tératogène.
Sophie Dumery 03 Décembre 2015 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Les grossesses survenant chez des femmes épileptiques, avec ou sans traitement, exposent à de légers mais significatifs surrisques, nécessitant information et vigilance (illustration).

Les grossesses survenant chez des femmes épileptiques, avec ou sans traitement, exposent à de légers mais significatifs surrisques, nécessitant information et vigilance (illustration).

 
Près de 3 millions de grossesses analysées
L'analyse de la littérature sur le suivi de grossesses incluant celles de femmes épileptiques a été effectuée par Luz Viale (Rosario, Argentine), John Allotey (Queen Mary University of London) et leur équipe de l'EBM CONNECT Collaboration.
 
Les auteurs en ont extrait 38 études publiées de janvier 1990 à janvier 2015 dans 39 articles, soit 2 837 325 grossesses analysées.
 
Trente et une d'entre elles ont fourni des données comparatives entre femmes enceintes épileptiques et femmes indemnes, 11 ont permis de comparer femmes enceintes épileptiques avec ou sans prescription d'anti-épileptiques, 8 ont comparé les anti-épileptiques en mono ou polythérapie dans cette population. 

Les médicaments concernés étaient la carbamazépine, le topiramate, la lamotrigine, le valproate et la phénytoïne.
 
Pas de surrisque constaté pour plusieurs évènements indésirables possibles de la grossesse
Tout d'abord, les auteurs n'ont pas constaté de surrisque, chez les femmes épileptiques par rapport aux non épileptiques, de diabète gestationnel, ni de survenue d'une naissance très prématurée, d'une mort fœtale ou périnatale ou d'une admission en unités de soins intensifs.
 
Cette absence de surrisque est constatée indépendamment d'un traitement, antiépileptique, de la femme enceinte épileptique.
 
Les auteurs notent que les suivis de grossesse ont inclus celles avec des malformations fœtales. Même en excluant ces dernières, les auteurs ne retrouvent pas de surrisque de décès in utero.
 
Plusieurs surrisques "légers mais significatifs" d'autres évènements indésirables, liés ou non aux traitements
Voici, risque par risque, le résultat du travail des auteurs de cette méta-analyse.
 
Avortement spontané
Le risque relatif (odds ratio, ou OR) de fausse couche spontanée constaté pour les femmes épileptiques sur 6 études, indépendamment d'un traitement, est de 54 % plus élevé que celui des femmes non épileptiques (OR = 1,54 ; IC95 1,02–2,32, p = 0,04).
 
En comparant les femmes avec ou sans médicaments antiépileptiques (3 études), un surrisque de 30 % est associé au traitement, non significatif (OR = 1,3 ; IC95 0,61–2,79, p = 0,50). De même, pas de différence significative en comparant les femmes sous mono ou polythérapie anti-épileptique.
 
Hémorragie pendant et après la grossesse 
Davantage d'hémorragies ont été constatées chez les femmes épileptiques, indépendamment d'un traitement antiépileptique, pendant (OR = 1,49 ; IC 1,01–2,20 ; p = 0,04) et après la grossesse (OR = 1,29 ; IC95 1,13–1,49 ; p = 0,0002).
 
La comparaison entre traitement et absence de traitement anti-épileptique n'est pas significative pour les hémorragies survenant pendant la grossesse ("ante partum"), mais l'est en post-partum : OR à 1,33 (IC95 1,16–1,54 ; p < 0,0001).
 
Accouchements provoqués (déclenchement du travail)
Le risque relatif de déclenchement du travail de l'accouchement est aussi supérieur chez les femmes épileptiques, traitées ou non (OR = 1,67 ; IC95 1,31–2,11 ; p < 0,0001).
 
En cas de traitement, un surrisque significatif est constaté par rapport aux femmes épileptiques non traitées (OR = 1,40 ; IC95 1,05–1,85 ; p = 0,02). Pas de surrisque significatif constaté en cas de prise de plusieurs médicaments (OR = 1,36 ; IC95 0,97–1,90 ; p = 0,07)
 
Pratique d'une césarienne
Une césarienne est effectuée plus fréquemment chez les femmes épileptiques, traitées ou non, par rapport aux non épileptiques (OR = 1,40 ; IC951,23–1,58 ; p < 0,00004).
 
Les auteurs n'ont pas mis en évidence de surrisque significatif en cas de traitement. Par contre, en cas de prise de plusieurs médicaments, un surrisque significatif est noté, par rapport aux femmes ne prenant qu'un seul médicament anti-épileptique (OR = 1,47 ; IC95 1,07–2,02 ; p = 0,02).
 
Accouchement prématuré
Le surrisque d'accouchement prématuré avant 37 semaines d'aménorrhée est léger (+ 16 %) mais significatif (OR = 1,16 ; IC95 1,01–1,34 ; p = 0,03).
 
Les auteurs ont aussi analysé un sous-groupe de femmes ayant accouché avant 34 semaines d'amenorrhée (naissance "très" prématurée). Dans ce sous-groupe, le surrisque associé à l'épilepsie est quasiment doublé avant 34 semaines, mais non significatif (OR = 1,96 ; IC95 0,97–3,99 ; p = 0,06). Il n'est pas différent entre femmes épileptiques avec et sans traitement, ni entre mono et polythérapie.
 
Hypertension pendant la grossesse
Les auteurs ont quantifié le surrisque de troubles hypertensifs à + 37 % (OR = 1,37 ; IC95 1,21–1,55 ; p < 0,00001), sans relation au traitement : pas de différence entre femmes traitées et non traitées, qu'il s'agisse de mono ou polythérapie.
 
Retard de croissance intra-utérin
L'analyse de 18 études par les auteurs montre que davantage de retards de croissance in utero sont constatés chez les femmes enceintes épileptiques (OR = 1,26 ; IC95 1,20–1,33 ; p < 0,0001).
 
Cette différence est beaucoup plus nette en comparant les mères traitées et non traitées, ces dernières ayant 3 fois et demi plus de surrisque constaté (OR = 3,51 ; IC95 1,23–10,01 ; p = 0,02). Par contre, pas de différence notée entre mono et polythérapie.
 
Admission du bébé en soins intensifs néonatals
L'admission en soins intensifs n'est pas significative, comme mentionné précédemment, pour les enfants nés de mère épileptique, même si le risque constaté est multiplié par 2 (OR = 2,06 ; IC95 0,97–4,37 ; p = 0,06).
 
Ce surrisque est par contre significatif en cas de prise d'anti-épileptiques (0R = 1,42 ; IC95 1,13–1,78 ; p = 0,002), sans distinction significative entre mono ou polythérapie.
 
Décès maternel
Les auteurs n'ont pas analysé le surrisque de décès maternel en cas de grossesse et épilepsie.
 
Mais ils précisent que ce travail a déjà été effectué, notamment par Stephan Edey et coll. (Epilepsia 2012) : ce risque est 10 fois supérieur chez les femmes épileptiques (1 sur 1 000) par rapport aux femmes non épileptiques (1 sur 10 000). Il est plus élevé chez les femmes épileptiques enceintes sous lamotrigine.
 
L'épilepsie concernant 0,6 % des grossesses selon ces auteurs, la situation mérite une grande considération.
 
En synthèse : plusieurs risques associés aux traitements, mais des données insuffisantes pour spécifier les médicaments les plus à risques
Cette méta-analyse confirme le surrisque de certains évènements indésirables associés à la grossesse des femmes épileptiques, avec ou sans traitement.
 
Certains évènements sont également plus fréquents en cas de traitement médicamenteux anti-épileptique : hémorragie post-partum, déclenchement du travail, retard de croissance intra-utérin et admission en soins intensifs néonatals.
 
Par ailleurs, la fréquence des césariennes et des déclenchements du travail est augmentée en cas de prise de plusieurs médicaments anti-épileptiques par rapport à un seul.
 
Par contre, les auteurs soulignent que les données sont insuffisantes pour conclure sur les risques particuliers liés à tel ou tel traitement, ce qui ne permet pas d'alimenter le débat pharmacologique (débat alimenté, par exemple, par la revue de Borthen L et coll., 2012).
 
En conclusion : pas de contre-indication à la grossesse en cas d'épilepsie, mais des précautions à renforcer
Devant ces résultats montrant plusieurs surrisques, Luz Viale et coll. préconisent d'informer les femmes épileptiques et celles sous traitement antiépileptiques, d'"un risque de complications obstétricales léger mais significatif".
 
Ils souhaitent aussi que les professionnels de santé soient informés des résultats de cette vaste méta-analyse, afin qu'ils surveillent particulièrement ces grossesses, notamment pour détecter précocement les éventuels retards de croissance in utero et poussées hypertensionnelles des femmes épileptiques enceintes.
 
Des souhaits d'information et de vigilance qui rejoignent ceux des autorités sanitaires françaises et européennes. Ces dernières ont émis fin 2014 des recommandations visant à restreindre l'utilisation des médicaments contenant du valproate de sodium et dérivés chez les femmes enceintes ou en âge de procréer.
 
Ces recommandations faisaient suite à plusieurs études ayant montré qu'en sus du risque de survenue de malformations fœtales sous valproate, connu et mentionné depuis 1986, la prise de ces médicaments pendant la grossesse augmentait également le risque de survenue de troubles du développement chez l'enfant (voir notre article du 11 décembre 2014).
 
En savoir plus :
La méta-analyse objet de cet article
Epilepsy in pregnancy and reproductive outcomes: a systematic review and meta-analysis, Luz Viale, John Allotey, Fiona Cheong-See, David Arroyo-Manzano, Dougall Mccorry, Manny Bagary, Luciano Mignini, Khalid S Khan, Javier Zamora, Shakila Thangaratinam, for EBM CONNECT Collaboration, The Lancet, novembre 2015 (publication avancée en ligne fin août 2015).
http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(15)00045-8
 
Autres études citées
SUDEP and epilepsy-related mortality in pregnancy, Edey S, Moran N, Nashef L.,  Epilepsia, juillet 2014
Pregnancy complications in patients with epilepsy, Borthen I, Gilhus NE., Current opinion in obstetrics & gynecology, mars 2012
 
Sur VIDAL.fr :
Médicaments à base de valproate et dérivés : renforcement des conditions de prescription et de délivrance (mai 2015)
Médicaments contenant du valproate de sodium et dérivés : renforcement des restrictions d'indication (décembre 2014)
Sources

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