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Cancérologie : la composition de la flore intestinale influencerait l'efficacité de l'immunothérapie

Publiées début novembre 2015 dans la revue Science, deux études soulèvent des questions importantes sur le rôle du microbiote intestinal ("flore intestinale") dans la réponse du système immunitaire face au cancer.

En effet, ces deux équipes, l’une française et l’autre américaine, ont simultanément constaté, chez la souris, que certaines bactéries intestinales jouaient un rôle essentiel dans le contrôle du mélanome par les cellules immunitaires, spontanément ou en présence d’un traitement d’immunothérapie.  

Les chercheurs français ont déjà confirmé, chez l'homme, la pertinence de ces découvertes (importance de la présence de certaines bactéries intestinales sur l'efficacité de l'ipilimumab).  

Les résultats de ces études font envisager, dans le cadre de l’immunothérapie anticancéreuse, de modifier, si besoin, la composition du microbiote intestinal par greffe fécale. Ce traitement bactérien servirait alors de traitement adjuvant destiné à renforcer l'efficacité de l'immunothérapie.
Stéphane Korsia-Meffre 12 novembre 2015 06 juillet 2018 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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La flore intestinale influence l'efficacité des immunothérapies anticancéreuses (illustration).

La flore intestinale influence l'efficacité des immunothérapies anticancéreuses (illustration).


L'immunothérapie anticancéreuse, une voie prometteuse
Être capable de mobiliser les ressources du système immunitaire pour lutter contre les cancers représente une alternative thérapeutique intéressante. 

Par exemple, pour se développer, les cellules tumorales bloquent, grâce à 2 protéines ( CTLA-4 et PD-1/PD-L1), certains points de contrôle du système immunitaire, appelés "immunocheckpoints".

L'idée des chercheurs a donc été d'empêcher l'action bloquante du système immunitaire liée à la production de ces 2 protéines : plusieurs études cliniques récentes ont montré l'intérêt potentiel de cette approche.

Des anticorps monoclonaux ciblant les protéines bloquantes du système immunitaire
En développant des anticorps monoclonaux contre CTLA-4 (ipilimumab), PD-1 (pembrolizumab) ou PD-L1 (nivolumab), ces études ont montré qu'il était possible de relancer l'immunité spontanée contre les cellules tumorales.

Cette approche s'est révélée payante dans le traitement du mélanome métastatique (N. Engl. J. Med., 2010 et N. Engl. J. Med., 2013) et du cancer du poumon non à petites cellules (J Clin Oncol, 2015).

Mais une efficacité immunostimulante variable selon les patients
L'efficacité observée au cours de ces études varie fortement entre les patients : seulement 20 % d'entre eux semblent clairement bénéficier de ce type de thérapie.

Les chercheurs ont constaté que l'efficacité clinique de ces substances semble meilleure lorsqu'il existe, dans le micro-environnement de la tumeur et au sein de celle-ci, une activité immunocellulaire endogène active avant l'initiation du traitement.

Cependant, les facteurs qui conditionnent l'intensité de cette immunité spontanée sont encore mal identifiés. Diverses hypothèses ont été évoquées : par exemple, des différences génétiques au niveau des cellules immunitaires souches ou des variations en terme d'altérations somatiques des cellules tumorales.
 
Le microbiote intestinal, un acteur influant sur la réponse immunitaire anticancéreuse
On sait depuis quelques années que le microbiote (la "flore intestinale", composée d'environ 100 000 milliards de bactéries) joue un rôle dans la réaction immunitaire.

Récemment, chez la souris, une étude a montré que l'administration par voie orale de Bifidobacterium longum MM-2 améliorait la défense immunitaire contre le virus de la grippe en stimulant l'activité des lymphocytes NK (Natural Killer) (Microbiol. Immunol., 2015).

En cancérologie, deux études ont montré en 2013 que la composition du microbiote influençait l'efficacité du cyclophosphamide sur l'immunité anticancéreuse (par exemple, Science, 2013).

Les travaux publiés début novembre 2015 dans Science par une équipe de l'Inserm et une équipe de l'Université de Chicago vont dans le même sens et mettent en évidence un rôle du microbiote à la fois dans la réponse immunitaire anticancéreuse spontanée et dans celle induite par l'immunothérapie par anticorps monoclonaux.
 
Deux espèces de Bacteroides nécessaires à l'efficacité de l'ipilimumab contre le mélanome
La première étude publiée dans Science a été menée conjointement par des chercheurs de l'Institut Gustave Roussy, de l'Inserm, de l'Institut Pasteur de Lille et Paris, de l'AP-HP et de l'Université Paris-Sud, en collaboration avec une équipe de l'INRA et principalement soutenue financièrement par la Fondation ARC pour la Recherche contre le Cancer.

Les auteurs de cette étude ont montré que, chez la souris, lorsque la flore intestinale est dépourvue de deux bactéries, Bacteroides thetaiotaomicron et Bacteroides fragilis, un traitement avec l'ipilimumab n'est plus efficace contre le mélanome. L'absence de ces bactéries étaient obtenues soit par l'utilisation de souris dépourvues de bactéries intestinales (souris "axéniques", nées puis élevées en milieu stérile), soit par administration d'un traitement antibiotique à large spectre.

En l'absence de bactéries, la colonisation bactérienne intestinale par gavage des souris avec Bacteroides fragilis s'avère donc suffisante pour restaurer l'effet de l'anticorps monoclonal.

Par ailleurs, cette restauration de l'efficacité de l'ipilimumab est également possible soit par vaccination des souris contre des polysaccharides de B. fragilis, soit par transfert de lymphocytes T activés par Bacteroides fragilis, montrant ainsi que l'action du microbiote se fait par le biais d'une réaction de l'immunité cellulaire vis-à-vis de ces bactéries.
 
Des résultats cohérents avec l'analyse du microbiote de patients traités
La pertinence de ces informations en médecine humaine a été vérifiée chez des patients souffrant de mélanome métastatique. L'analyse de leur flore intestinale après traitement à l'ipilimumab a en effet permis de confirmer l'importance de ces bactéries immunogènes dans leur sensibilité au traitement et sur la diminution tumorale observée sous traitement.

Cette étude a également mis en évidence que la présence de ces deux Bacteroides dans la flore intestinale réduisait de manière significative l'incidence de colite inflammatoire auto-immune, un effet indésirable du traitement par ipilimumab présent chez environ 20 % des patients traités, comme le souligne l'Inserm dans un communiqué.
 
Autre étude : utilisation de greffes fécales pour rétablir l'immunité anticancéreuse
Parallèlement à ces travaux, des chercheurs de l'Université de Chicago ont comparé deux souches de souris génétiquement similaires mais dont le microbiote varie du fait de conditions d'élevage différentes.

Ils ont ainsi pu montrer que la différence observée entre les deux souches en terme de contrôle immunitaire spontané du mélanome disparaissait lorsque les souris étaient mélangées (entraînant ainsi une homogénéisation de leur flore respective).

De plus, ils ont constaté que chez les souris les plus vulnérables au mélanome, la greffe fécale (effectuée à partir de crottes des souris plus résistantes) avait permis une amélioration du contrôle de la tumeur comparable à celle provoquée par l'administration de nivolumab. L'association greffe fécale + nivolumab a permis de quasiment arrêter la croissance tumorale chez ces souris "vulnérables". Des résultats similaires ont été observés après induction d'un cancer de la vessie.

Bifidobacterium, autre acteur possible de l'immunité anticancéreuse
Face à ces résultats, les auteurs ont mené une analyse comparative des flores intestinales. Les espèces de bactéries présentes seulement chez les souris les plus résistantes ont été administrées séparément aux souris plus vulnérables, afin d'identifier celles à l'origine de l'effet observé.

Ils ont ainsi constaté la présence, à des concentrations 400 fois supérieures à celles des souris "vulnérables", de trois espèces de Bifidobacterium dans l'intestin des souris "résistantes".

Ces Bifidobacterium s'avèrent capables de stimuler l'immunité spontanée ou liée au traitement par nivolumab. Aucune différence d'efficacité n'a été observée entre les trois espèces, du moment qu'elles étaient administrées vivantes (ce qui plaide pour la nécessité d'une colonisation de tout ou partie de l'intestin).
 
Une action sur l'immunité médiée par les cellules dendritiques puis les lymphocytes T CD8 
Les auteurs de l'université de Chicago ont ensuite essayé de comprendre comment ces Bifidobacterium influençaient le système immunitaire. Ils ont montré qu'aucune translocation ganglionnaire n'était nécessaire (les bactéries restaient à la surface de l'intestin), que la production d'interféron gamma était augmentée et que les cellules dendritiques (de présentation des antigènes) étaient fortement stimulées, entraînant une activation des lymphocytes T, une prolifération des mononucléaires et une augmentation du nombre de lymphocytes T CD8 dans et autour de la tumeur.

L'étude de souris dépourvues de CD8 a montré une incapacité des Bifidobacterium a stimuler l'immunité anticancéreuse chez ces animaux, confirmant ainsi le rôle central de cette famille de lymphocytes T.
 
En conclusion : vers des modifications répétées du microbiote pour moduler l'immunité anticancéreuse ?
Ces deux études permettent d'espérer un meilleur usage des thérapies anticancéreuses fondées sur l'immunostimulation. 

Tout d'abord en identifiant, à partir de la composition du microbiote, les patients qui pourront tirer le meilleur parti de chaque anticorps monoclonal. Ensuite, il pourrait être possible de manipuler, même de manière transitoire, la flore intestinale des patients, les bactéries administrées devenant alors une sorte de traitement adjuvant.

S'il semble difficile, voire impossible à ce jour, de modifier la flore intestinale de manière durable, il semble possible, par l'administration fréquente d'une combinaison de bactéries et de prébiotiques (les éléments nutritifs qui favorisent leur prolifération), d'enrichir la flore intestinale de manière transitoire.

Raison de plus pour que le législateur et les agences sanitaires travaillent rapidement à dissiper le flou réglementaire qui existe en France quant à l'utilisation thérapeutique de la greffe fécale ou de bactéries issues du microbiote.

En savoir plus : 

L'étude conjointe IGR, Inserm, Institut Pasteur, AP-HP, Université Paris-Sud sur l'ipilimumab et le microbiote :
Anticancer immunotherapy by CTLA-4 blockade relies on the gut microbiotaM. Vétizou et al., Science, 5 November 2015.
Le communiqué de presse de l'Inserm sur cette étude
 
L'étude de l'Université de Chicago sur le nivolumab et le microbiote :
Commensal Bifidobacterium promotes antitumor immunity and facilitates anti–PD-L1 efficacyA. Sivan et al., Science, 5 November 2015.

L'étude sur l'influence du microbiote sur l'immunité de la grippe :
Consecutive oral administration of Bifidobacterium longum MM-2 improves the defense system against influenza virus infection by enhancing natural killer cell activity in a murine modelT. Kawahara et al., Microbiology and Immunololy, janvier 2015 
 
L'étude sur l'influence du microbiote sur l'immunité lors de traitement par le cyclophosphamide :
The intestinal microbiota modulates the anticancer immune effects of cyclophosphamideS. Viaud et al., Science, novembre 2013
 
L'étude sur l'efficacité de l'ipilimumab sur le mélanome :
Improved survival with ipilimumab in patients with metastatic melanomaF. S. Hodi et al., New England Journal of Medicine, août 2010
 
L'étude sur l'efficacité du lambrolizumab sur le mélanome :
Safety and tumor responses with lambrolizumab (anti-PD-1) in melanomaO. Hamid et al., New England Journal of Medicine, juillet 2013
 
L'étude sur l'efficacité du nivolumab et de l'ipilimumab sur le cancer du poumon non à petites cellules :
Phase I/II study of nivolumab with or without ipilimumab for treatment of recurrent small cell lung cancerAntonia SJ et al., Journal of clinical oncology, juin 2015 (suppl; abstr 7503, ASCO 2015)
 
Sur VIDAL.fr : 

Greffe de flore intestinale : les recommandations de l'ANSM pour améliorer la sécurité (juin 2014)

Allergies : une étude montre l'influence de l'exposition des nouveau-nés aux allergènes et aux bactéries (juin 2014)

MetaGenoPolis, une initiative pour mieux comprendre les milliards de bactéries du microbiote intestinal (août 2013)

 
Sources

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