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Utilisation d'AVASTIN (bevacizumab) dans le traitement de la DMLA : le laboratoire Roche s'oppose à la RTU

En mars dernier, l'ANSM s'est prononcée en faveur de d'une RTU (recommandation temporaire d'utilisation) élargie au traitement de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) néovasculaire pour l'AVASTIN (bevacizumab). Le motif principal de l'instauration de cette RTU est que le bevacizumab pourrait représenter une alternative thérapeutique beaucoup moins coûteuse pour l'Assurance maladie que les traitements disposant actuellement d'une AMM dans cette indication (voir notre article).

Le projet de protocole RTU encadrant l'utilisation d'AVASTIN dans la DMLA a donc été soumis par l'ANSM au laboratoire Roche fin avril 2015, pour commentaire. En réponse, le lundi 22 juin, ce dernier a indiqué ne pas souhaiter engager sa responsabilité dans cette indication non validée par l'AMM.

Le laboratoire justifie sa position en rappelant que l'administration intra-vitréenne d'AVASTIN reconditionné pour l'usage ophtalmologique comporte des risques de contamination bactérienne, alors des alternatives thérapeutiques sans reconditionnement existent pour le traitement de la DMLA.

Pour le laboratoire Roche, c'est donc à l'ANSM d'assumer la mise en oeuvre de cette RTU et d'en assurer le suivi d'efficacité et de sécurité, éventuellement en s'appuyant sur un tiers qui reconditionnerait le bevacizumab et en assumerait la responsabilité et le suivi.


Par voie de communiqué, l'ANSM a rejeté, le 23 juin, les arguments et propositions du laboratoire Roche.  
 
[édit 25 juin 19h00] L'ANSM vient d'annoncer avoir établi la RTU d'AVASTIN dans la DMLA néovasculaire, annonce confirmant le rejet des arguments présentés par Roche, qui devra notamment assurer le suivi des patients traités ainsi que la pharmacovigilance. 

Cette RTU entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2015.[/édit 25 juin 19h00]


 
David Paitraud 25 juin 2015 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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La DMLA néovasculaire avancée peut se traduire par une perte de la vision centrale (illustration).

La DMLA néovasculaire avancée peut se traduire par une perte de la vision centrale (illustration).


Dans un communiqué de presse datant du 22 juin, le laboratoire Roche a réaffirmé son opposition à l'utilisation d'AVASTIN (bevacizumab) dans le traitement de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge), rejetant ainsi la RTU (recommandation temporaire d'utilisation) souhaitée par l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

[édit 25 juin 19h00] Ces arguments n'ont pas été entendus par l'ANSM, qui vient de publier la RTU d'AVASTIN sur son site[/édit 25 juin 19h00]

Bevacizumab et DMLA : rappel du contexte
Le bevacizumab dispose d'une AMM (autorisation de mise sur le marché) dans le traitement de différents cancers (colorectal, sein, cancer bronchique non à petites cellules, rein, ovaire...), en perfusion par voie intraveineuse.

En raison de son action anti-VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), ce médicament a été utilisé depuis plusieurs années hors AMM en injection intra-vitréenne pour le traitement de la forme néovasculaire de la DMLA.

Ce médicament coûte beaucoup moins cher que les médicaments actuellement disponibles : le prix d'un flacon de 4 ml d'AVASTIN, contenant 100 mg de bévacizumab, est de 253 euros et peut permettre de réaliser plusieurs injections, sous réserve de reconditionnement, alors que la seringue préremplie de 0,165 ml de LUCENTIS coûte 738,69 euros (pour une seule injection), tandis que le prix public d'EYLEA solution injectable à 40 mg/ml en flacon de 100 µl (soit 4 mg d'aflibercept) est de 807,28 euros

Cet avantage financier a conduit l'ANSM à initier une procédure de RTU élargie afin d'encadrer son utilisation en ophtalmologie (voir notre article du 25 mars 2015). 

Après une première étape de collecte de données ayant permis de démontrer l'efficacité d'AVASTIN en ophtalmologie, l'ANSM a soumis fin avril au laboratoire Roche un projet de protocole fixant les modalités de suivi des patients et de recueil des informations relatives à l'efficacité, à la sécurité et aux conditions d'utilisation de son médicament dans le cadre de ce projet de RTU. 

Le laboratoire Roche pointe les risques d'un usage ophtalmologique du bevacizumab et rejette l'argument financier 
Le laboratoire Roche souligne que "l'AVASTIN n'est autorisé dans aucun pays au monde pour un usage ophtalmique'".

Pour étayer son refus de la RTU avec d'autres arguments, le laboratoire évoque tout d'abord la moindre sécurité d'une utilisation d'AVASTIN en injection intra-vitréenne : "La forme pharmaceutique actuelle d'Avastin® n'est pas adaptée à une administration intravitréenne. Cette solution ne contient pas de conservateur et un reconditionnement comporte, entre autres, un risque de contamination bactérienne, notamment en l'absence de conservateur". Le laboratoire rappelle d'ailleurs que l'ANSM elle-même a émis des réserves quant à ce sujet.

En réponse à l'argument financier avancé par la France pour la mise en oeuvre d'une RTU, le laboratoire suisse explique qu'"aucun compromis ne doit être fait sur la qualité de l'offre scientifique et médicale ni sur la protection de l'intérêt du patient"

Roche conteste la pertinence de la nouvelle possibilité d'élargissement des RTU
En juillet 2014,  le député socialiste Gérard Bapt a déposé un amendement au PLFRSS 2014 (Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale) afin de pouvoir attribuer une RTU même en cas d'existence d'une alternative thérapeutique disposant de l'AMM dans cette indication, notamment lorsqu'une telle RTU permettrait de substantielles économies budgétaires (voir notre article).  

Cet amendement, motivé notamment par le poids budgétaire impoortant des remboursements des traitements actuels de la DMLA, s'est matérialisé par un décret le 30 décembre 2014, décret qui élargit donc la possibilité de RTU aux situations pour lesquelles des alternatives thérapeutiques existent.

Dans son communiqué, Roche conteste la pertinence de cette possibilité d'élargissement : "Roche adhère pleinement au mécanisme dérogatoire des RTU telles qu'il existait avant le décret du 30 décembre 2014, et qui permettait aux patients d'avoir accès hors autorisation de mise sur le marché (AMM) à des molécules en cas d'absence d'alternatives thérapeutiques. Roche conteste ce décret pris en application de la loi du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale qui élargit les cas d'utilisation d'un médicament en dehors du champ de son AMM alors même que des alternatives thérapeutiques existent"

Au total, le laboratoire Roche refuse la responsabilité de cette RTU et propose une alternative
Refus du principe de la RTU élargie, pointage des risques et rejet des arguments financiers conduisent donc le laboratoire à refuser une RTU du bevacizumab dans la DMLA : "Roche ne saurait assumer la responsabilité de la mise en place et du suivi d'un usage d'Avastin® qu'elle ne recommande pas", ajoutant que cette utilisation s'avère "contraire à son AMM européenne et aux mises en garde figurant dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit)".

Le laboratoire indique cependant une autre possibilité selon laquelle l'ANSM serait entièrement responsable de la mise en oeuvre et du suivi d'une RTU pour l'utilisation ophtalmologique du bevacizumab : "Roche ne s'opposerait pas à une éventuelle RTU édictée et mise en œuvre sous la seule responsabilité de l'ANSM, sans intervention de Roche ni aucune nouvelle obligation mise à sa charge".

Le laboratoire propose aussi que l'exploitation de la forme intravitréenne d'AVASTIN pour l'indication dans la DMLA puisse être assurée par une tierce partie (pharmacie hospitalière ou promoteurs français d'essais cliniques d'AVASTIN dans la DMLA) habilitée par l'ANSM qui pourrait reconditionner le bevacizumab dans des seringues destinées à l'injection intravitréenne. 

L'ANSM rejette la proposition du laboratoire Roche
Cette proposition de cession de licence de l'utilisation ophtalmologique du bevacizumab à un tiers est rejetée par l'ANSM par un communiqué de presse diffusé le 23 juin sur son site : "selon les dispositions du Code de la santé publique, la mise en œuvre d'une RTU et le suivi des patients inclus dans ce dispositif incombent au titulaire de l'AMM".

La situation paraît donc bloquée : les autorités de santé vont-elles forcer le laboratoire Roche à assumer la responsabilité de la mise en place et du suivi de cette RTU pour le bevacizumab en ophtalmologie ? Ou bien la situation restera-t-elle en l'état, avec poursuite de l'utilisation exclusive des deux médicaments, LUCENTIS et EYLEA, disposant de l'AMM dans cette indication ? 

[édit 25 juin 19h00] L'ANSM vient de publier la RTU d'AVASTIN dans la DMLA néovasculaire sur son site, réfutant de fait tous les arguments de Roche et plaçant le déploiement de cette utilisation hors AMM sous sa responsabilité. [/édit 25 juin 19h00]

Pour mémoire
AVASTIN 25 mg/ml solution à diluer pour perfusion est actuellement autorisé dans les indications suivantes :
  • en association à une chimiothérapie à base de fluoropyrimidine, chez les patients adultes atteints de cancer colorectal métastatique ;
  • en association au paclitaxel, dans le traitement de première ligne, chez des patients adultes atteints de cancer du sein métastatique ;
  • en association à la capécitabine, dans le traitement de première ligne, chez des patients adultes atteints de cancer du sein métastatique, pour lesquels un traitement avec d'autres options de chimiothérapie incluant des taxanes ou des anthracyclines, n'est pas considéré comme approprié. Les patients ayant reçu un traitement à base de taxanes et d'anthracyclines en situation adjuvante au cours des 12 derniers mois, doivent être exclus d'un traitement par AVASTIN en association à la capécitabine ;
  • en association à une chimiothérapie à base de sels de platine, dans le traitement de première ligne chez les patients adultes atteints de cancer bronchique non à petites cellules, avancé et non opérable, métastatique ou en rechute, dès lors que l'histologie n'est pas à prédominance épidermoïde ;
  • en association à l'interféron alfa-2a, dans le traitement de première ligne, chez les patients adultes atteints de cancer du rein avancé et/ou métastatique ;
  • en association au carboplatine et au paclitaxel, dans le traitement de première ligne des stades avancés (stades FIGO (Fédération Internationale de Gynécologie Obstétrique)III B, III C et IV) du cancer épithélial de l'ovaire, des trompes de Fallope ou péritonéal primitif chez des patientes adultes ;
  • en association au carboplatine et à la gemcitabine, chez les patientes adultes atteintes d'un cancer épithélial de l'ovaire, des trompes de Fallope ou péritonéal primitif, en première récidive, sensible aux sels de platine et qui n'ont pas été préalablement traitées par du bevacizumab ou d'autres inhibiteurs du VEGF ou d'autres agents ciblant le récepteur du VEGF ;
  • en association au paclitaxel, au topotécan ou à la doxorubicine liposomale pégylée, chez les patientes adultes atteintes d'un cancer épithélial de l'ovaire, des trompes de Fallope ou péritonéal primitif, en rechute, résistant aux sels de platine, qui n'ont pas reçu plus de deux protocoles antérieurs de chimiothérapie et qui n'ont pas été préalablement traitées par du bevacizumab ou d'autres inhibiteurs du VEGF ou d'autres agents ciblant le récepteur du VEGF ;
  • en association au paclitaxel et au cisplatine, ou bien en association au paclitaxel et au topotécan chez les patientes ne pouvant pas recevoir de traitement à base de sels de platine, est indiqué chez les patientes adultes atteintes d'un carcinome du col de l'utérus persistant, en rechute ou métastatique.

Pour aller plus loin
Roche réaffirme son opposition à l'utilisation d'Avastin® en ophtalmologie dans le cadre d'une Recommandation temporaire d'utilisation, communiqué de presse du laboratoire Roche, 22 juin 2015
RTU Avastin : l'ANSM rappelle les obligations réglementaires du titulaire de l'AMM relatives au suivi des patients inclus dans un dispositif de RTU - Communiqué, ANSM, 23 juin 2015
L'ANSM établit la RTU d'Avastin® (bevacizumab) dans la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) dans sa forme néovasculaire - Point d'information; ANSM, 25 juin 2015
AVASTIN® 25 mg/ml, solution à diluer pour perfusion, RTU, ANSM, 24 juin 2015

Sur Vidal.fr
AVASTIN (bévacizumab) et DMLA néovasculaire : l'ANSM favorable à l'élaboration d'une RTU (25 mars 2015)
AVASTIN (bevacizumab) dans la DMLA : le laboratoire Roche sollicité par l'ANSM (6 novembre 2014)
Recommandation temporaire d'utilisation (RTU) : un amendement élargit son périmètre (juillet 2014)

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