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Des chercheurs découvrent comment produire de la codéine et de la morphine avec des levures génétiquement modifiées

La codéine, la morphine et leurs dérivés sont actuellement synthétisées à partir du pavot à opium, ce qui limite les capacités de production, et donc de détournement.

Mais la production de morphine à partir de sucres et de levures génétiquement modifiées, qui serait beaucoup plus "simple" à effectuer, est en passe de devenir une réalité, selon les travaux de chercheurs américains et canadiens publiés dans Nature et PLoS One. 

Cette prouesse technologique permettra, certes, de réduire considérablement le prix de ces opiacés utilisés en thérapeutique, mais ouvre également la porte à des détournements par les narcotrafiquants (l'héroïne est un dérivé morphinique).

Devant ce risque de développement d'une fabrication "maison" d'opiacés à partir d'une levure "facile à dissimuler",  plusieurs chercheurs appellent, toujours dans dans la revue Nature, à des mesures de protection de la souche et d'encadrement de son utilisation.
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Le pavot oriental, source traditionnelle de la morphine

Le pavot oriental, source traditionnelle de la morphine

La production de substances végétales complexes par biotechnologie se développe rapidement. Par exemple, l'artémisinine, substance antipaludique découverte dans l'armoise annuelle, est désormais produite par fermentation industrielle.

Mais jusqu'ici, la production de morphine (qui compte pas moins de 18 étapes complexes) à partir du pavot oriental résistait aux biochimistes, d'autant plus que le génome du pavot n'a pas encore été complètement séquencé.

Ces derniers mois, différentes équipes ont cependant réussi, indépendamment, à reproduire la première partie de cette synthèse et à élucider les mécanismes de la seconde, ouvrant la voie à une production dissociée de celle du pavot à opium. 
 
Une enzyme modifée permet de transformer le sucre en réticuline, précurseur de la morphine
Deux équipes, issues des universités de Concordia (Montréal, Québec) et de Berkeley (Californie) viennent de publier dans Nature Chemical Biology leurs travaux sur les premières étapes de la synthèse de la morphine, étapes qui n'avaient jusqu'ici jamais été reproduites.

DeLoache W et coll. ont travaillé sur une enzyme de la betterave, la tyrosine hydroxylase, qui transforme habituellement la tyrosine, un acide aminé dérivé du glucose (sucre), en L-DOPA, puis en dopaquinone.

Grâce à un ingénieux système de coloration différentielle, ils ont isolé un mutant de cette enzyme qui tend à cesser son action après la synthèse de L-DOPA. En insérant 4 enzymes supplémentaires dans des levures modifiées (Saccharomyces cerevisiae), ils sont parvenus à transformer la tyrosine en L-DOPA, puis en dopamine, puis en norcoclaurine et enfin en (S)-réticuline, précurseur de la synthèse de morphine :



 De la réticuline à la morphine
Parallèlement, en avril 2015, 2 équipes de l'université de Concordia ont publié dans PloS ONE le détail de la voie biochimique qui transforme, via 7 enzymes dont les gènes ont été identifiés, la (R)-réticuline en codéine et en morphine :




Une avancée qui soulève les inquiétudes...
Ces deux publications, ainsi que des travaux complémentaires expliquant comment passer de la forme (S) à la forme (R) de la réticuline, ouvrent  la voie à une synthèse de codéine et de morphine à partir de simples acides aminés glucosés. Il est donc hautement probable que, d'ici quelques mois, l'ensemble des gènes responsables de la chaîne de synthèse de la morphine soit implanté dans des levures, et que la production de morphine puisse se faire dans des cuves à fermentation industrielles.
 
Nul besoin d'être devin pour imaginer les détournements possibles de cette technique. Les narcotrafiquants pourraient s'affranchir des aléas de la culture clandestine du pavot (essentiellement en Afghanistan aujourd'hui) et produire des opiacés à l'aide de simples cuves de brassage... 

Propositions d'encadrement de cette découverte
Diverses parades ont germé dans l'esprit des scientifiques qui travaillent sur ce sujet : 
- insertion de gènes dans les levures nécessitant des réactifs particuliers (et tenus secrets) pour activer la production de morphine ;
- limitation du nombre de centres autorisés à manipuler ces micro-organismes ; 
- insertion de gènes condamnant les levures à une mort programmée après quelques cycles de reproduction (et nécessitant ainsi de se fournir régulièrement auprès d'un seul centre-source), etc. 

Kenneth A. Oye, J. Chappell H. Lawson et Tania Bubela, dans une tribune publiée dans Nature le 18 mai 2015, suggèrent également de renforcer les mesures de sécurité dans les centres de production de ces levures et d'inclure ces souches dans les listes de substances contrôlées par les lois américaines et internationales. 

Une course est donc désormais engagée entre les chercheurs et les autorités de régulation pour qu'un arsenal législatif protégeant contre ces dérives soit prêt avant que la production en masse de morphine biotechnologique ne commence. Arsenal législatif qui sera d'autant plus indispensable que ces travaux ouvrent la porte à la synthèse d'autres substances végétales complexes potentiellement toxiques...
 
Pour en savoir plus : 
- L'étude sur la reproduction in-vitro de la première partie de la synthèse de morphine : An enzyme-coupled biosensor enables (S)-reticuline production in yeast from glucose, DeLoache W et al., Nature Chemical Biology, mai 2015
- L'étude sur les mécanismes de la seconde partie de la synthèse : Synthesis of Morphinan Alkaloids in Saccharomyces cerevisiae,  Fossati, E et al., PLoS One, avril 2015
- La tribune des chercheurs appelant à une réglementation sur la production "maison" d'opiacés : Drugs: Regulate 'home-brew' opiates, Kenneth A. Oye, J. Chappell H. Lawson & Tania Bubela, Nature, 18 mai 2015

Sur VIDAL.fr : 
VIDAL Reco "Dépendance aux opiacés (traitement de substitution)"
Sources

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