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Sécurité des médicaments : séance commune des Académies de Médecine, Pharmacie et des Sciences

Les trois Académies de Médecine, de Pharmacie et des Sciences ont tenu le 20 janvier 2015 une séance commune sur la sécurité des médicaments, sujet sensible préoccupant au quotidien les professionnels de santé, les autorités, les laboratoires… et les patients.
 
En effet, ce n’est que la prescription en vie réelle qui révèle, avec le temps, des effets indésirables imperceptibles lors des essais cliniques... Lesquels sont destinés, par nature et méthode statistique, à définir l’efficacité des produits et à repérer les effets indésirables les plus fréquents, et non à circonscrire l’ensemble de leurs éventuels risques, rares ou très rares, immédiats ou tardifs.
 
Des recommandations académiques pourraient être publiées au printemps prochain à partir des points esquissés lors de cette séance commune. La mobilisation académique s’était déjà exprimée en octobre 2014 par des "Recommandations conjointes des Académies de Médecine et de Pharmacie sur le respect de l’information officielle du médicament".
Sophie Dumery 26 janvier 2015 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Le système de pharmacovigilance français est plus réactif qu'à la fin du siècle dernier, mais peut encore largement s'améliorer (illustration).

Le système de pharmacovigilance français est plus réactif qu'à la fin du siècle dernier, mais peut encore largement s'améliorer (illustration).

Avec l'expansion croissante du marché pharmaceutique, les autorités de tutelle ont beau encadrer la mise sur le marché des médicaments et dispositifs médicaux, ce sont in fine le prescripteur et le patient consommateur de soins qui révèlent, par notification au système de pharmacovigilance, les incidents et accidents liés à leur usage en vie réelle, à grande échelle.  
 
La vigilance sur de possibles effets indésirables commence pourtant dès la synthèse du principe actif et se poursuit longtemps après sa mise sur le marché, ce qui n'empêche malheureusement pas la survenue d'effets indésirables imprévus, ou mal anticipés, mal gérés. Comment améliorer le système pour diminuer ces risques ?
 
Les Académiciens soumettent à réflexion 6 pistes d'amélioration de la sécurité des médicaments
Une réflexion préalable des Académiciens a permis de formuler des premières pistes de recommandations, soumises pour nourrir le débat. Ces pistes visent à améliorer la pharmacovigilance, la recherche, la personnalisation et l'information :
  1. Déterminer de manière plus approfondie, avant la mise sur le marché, des variations génétiques susceptibles d'influencer la réponse aux médicaments, grâce à des tests pharmacogénétiques préalablement validés ;
  2. Mettre en place une pharmacovigilance plus clinique et orientée sur le patient, et moins sur le produit ;
  3. Mener un programme national visant à décrire l'usage et l'impact des 10 classes pharmaco-thérapeutiques les plus utilisées en France, axé sur l'usage inapproprié des médicaments ;
  4. Inclure les notions de base de l'évaluation en vie réelle dans le cursus des études de santé ;
  5. Développer une information de référence indépendante, dans une formulation accessible, afin de répondre à certaines incompréhensions légitimes, voire à des inquiétudes trop souvent suscitées par des messages et des titres réducteurs ;
  6. Lever tous les obstacles à l'utilisation des bases de données accumulées par l'Assurance maladie et l'administration hospitalière afin de conduire les études statistiques permettant de valider les hypothèses soulevées par les résultats de la pharmacovigilance. 
 
La toxicité médicamenteuse la plus fréquente ? L'idiosyncratique
Chaque individu est unique, son idiosyncrasie (compôrtement particulier, individuel) physiologique se heurte à la prescription de masse. Les pharmacologues, a rappelé François Ballet (Médicen, Campus Paris-Saclay), définissent la toxicité idiosyncratique médicamenteuse comme un effet indésirable survenant chez une minorité de patients traités, quelle que soit la dose administrée, et qui n'est pas lié à l'activité pharmacologique de la molécule. C'est la plus fréquente toxicité médicamenteuse.
 
Majoritaire, la toxicité hépatique idiosyncratique (THI) peut toucher de 1/100 à 1/10 000 patients exposés. Pas ou rarement détectée par les études toxicologiques chez l'animal, elle est encore non détectée lors des essais de phase III, en raison du très faible nombre de cas. Elle émerge donc seulement après la mise sur le marché du médicament.
 
Phénomènes conduisant à une toxicité hépatique idiosyntratique
De nombreux travaux suggèrent que le mécanisme de cette THI comporte deux étapes, précise François Ballet :
- Initialement, la formation/fixation de métabolites aux protéines hépatiques intracellulaires entraîne une altération mitochondriale qui conduit à une toxicité limitée.
- Ensuite, la combinaison de protéines alkylées avec des composés antigéniques ("hapténisation") provenant à la première étape provoque une réaction immune cytotoxique hépatocytaire.
 
La première étape toxique liée aux propriétés chimiques "intrinsèques" de la molécule explique que la plupart des THI s'observe à des doses journalières supérieures à 10mg/j, lorsque les principes actifs sont fortement métabolisés par le foie. Pour la même raison, maintes THI se limitent à des élévations enzymatiques transitoires spontanément réversibles, tant que le seuil de toxicité n'est pas atteint et/ou que la tolérance immunitaire n'est pas rompue.
 
Pour éviter la THI, il faudrait tendre à une action pharmacologique à faible dose
Les études d'association en génome total, ou études d'association pangénomique (Genome Wide Association Studies - GWAS) ont liés certains polymorphismes HLA avec le risque de THI.  "Mais en dehors du cas particulier de la flucloxacilline [NDLR : dérivé de l'oxacilline non commercialisé en France], les odd ratios sont très insuffisants pour que ce déterminant explique à lui seul le risque de THI", explique François Ballet.
 
Les facteurs liés à l'hôte et à son environnement (qui influe sur l'expression des gènes, ce qui est appelé l'épigénétique, voir notre article) ajoutent malheureusement à l'incertitude, incertitude qu'aucun modèle préclinique n'est aujourd'hui en mesure de détecter.
 
Les algorythmes prédictifs de ce risque combiné (génétique/épigénétique/autre) étant encore à construire, François Ballet recommande de mettre au point des molécules actives à faibles doses (inférieures à 10 mg/j).
 
Un cas d'école, la grossesse : Le CRAT se prononce pour une prescription autorisée avec réflexion
Les connaissances pharmacologiques ont beaucoup progressé sur le transfert médicamenteux placentaire au cours de la grossesse, comme l'a détaillé le Dr Elisabeth Éléfant (Centre de référence sur les Agents Tératogènes – Le CRAT, Hôpital Trousseau, Paris). Il est donc désormais possible d'abandonner le principe de précaution absolu, qui consisterait à ne rien prescrire du tout.
 
Il s'agit d'une bonne nouvelle, puisque le recul de l'âge de la première grossesse à 30 ans augmente le risque de survenue de pathologies. De plus, un tiers des grossesses n'étant pas programmé, il y a de fortes chances qu'elles débutent sous un traitement quelconque, alors que l'environnement conceptuel et préconceptuel est fortement questionné.
 
Elisabeth Eléfant propose d'adapter les prescriptions pour soigner la mère tout en protégeant le foetus d'une toxicité/tératogénicité. Partant des 2 % de malformations spontanées, le risque médicamenteux acceptable est limité à 2 fois ce taux, soit un seuil d'abstention à 4 % de malformations détectées sous traitement. Ce qui permet de n'avoir plus que 6 % d'IVG pour risque toxico-tératogène médicamenteux aujourd'hui. Le site du CRAT est une référence du clinicien amené à prescrire pendant la grossesse.
 
Une pharmacovigilance centrée "patient" plutôt que "produit"
Le Pr Jean-Louis Montastruc (Pharmacopôle Midi-Pyrénées, pharmaco-épidémiologie - UMR Inserm 1027, CHU Toulouse) a rappelé certains progrès effectués "grâce" aux scandales médicamenteux, en prônant une pharmacovigilance active, prévisionnelle par approche globale cellulaire et moléculaire.
 
Le risque médicamenteux est consubstantiel au médicament et à chacune de ses prescriptions. Indépistable correctement, puisqu'il n'y a pas de niveau de preuve du risque pharmacologique en méthodologie, il rend indispensable la pharmacovigilance, que les produits soient nouveaux ou anciens.
 
L'évaluation du risque médicamenteux nécessite, outre des évolutions organisationnelles et méthodologiques, une évolution sociétale au-delà des exigences règlementaires : pour une pharmacovigilance plus orientée "patient" et moins "produit". Une vraie culture du médicament vise à "prescrire juste" plutôt que "juste prescrire", souligne le Pr Montastruc, dont l'équipe a récemment mis en évidence, en analysant les données de 330 000 patients, un risque jusqu'ici méconnu d'hypoglycémies sévères sous tramadol (voir notre article).
 
Replacer la pharmaco-épidémiologie dans le contexte de l'utilisation réelle
Pour le Pr Bernard Bégaud (Inserm U657 - Pharmaco-épidémiologie et évaluation de
l'impact des produits de santé sur les populations - Bordeaux), une interprétation sommaire et caricaturale de la "médecine fondée sur les preuves" amène souvent à considérer que l'efficacité ou la tolérance mesurée dans un essai clinique restent la référence opposable quels que soient les caractéristiques des utilisateurs, les systèmes de santé et les modes d'utilisation.
 
Or l'utilisation réelle diffère des essais cliniques et l'impact mesuré s'éloigne de ce que les données acquises avant commercialisation permettent de prédire. D'où la nécessité de faciliter les notifications (cf. cette position récente de l'Académie de pharmacie), de recourir plus souvent aux études transversales, beaucoup moins chères que les cohortes prospectives. Un aspect à ne pas négliger non plus est le mésusage médicamenteux, ainsi que les erreurs de diagnostic entraînant des prescriptions fausses, auxquelles s'ajoutent les prescriptions insuffisantes (outre les surdosages).
 
Autant de sources iatrogènes jusqu'ici encore trop mal évaluées…
 
En savoir plus :
La sécurité des médicaments, Séance commune de l'Académie des Sciences, de l'Académie nationale de Pharmacie et de l'Académie nationale de Médecine, 20 janvier 2015
Recommandations conjointes des Académies nationales de Médecine et de
Pharmacie sur le respect de l'information officielle du médicament
, 27 octobre 2014
Le site du CRAT
Le site de Médicen

 

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