#Socio-professionnel

Les médecins généralistes commettent-ils vraiment une erreur tous les deux jours ?

Les 9 et 10 septembre 2014, les médias ont été nombreux à relayer une dépêche d’agence signalant la publication de l’étude ESPRIT dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire. Cette étude s’est intéressée aux EIAS (Effets Indésirables Associés aux Soins) en pratique de ville signalés par les médecins et constitue un éclairage intéressant sur les problèmes rencontrés par les 100 000 médecins généralistes français.

Mais les titres de la presse ont été lapidaires, laissant penser que les médecins généralistes passaient leur temps à faire des erreurs…
 
Retour sur un "bad buzz" autour des médecins et sur les réels enseignements de cette étude, qui pourraient s’avérer utiles pour aider les praticiens au quotidien.
21 octobre 2014 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Les résultats de l'étude ESPRIT déformés par une partie des médias
Mi-septembre, de nombreux médias en ligne ont traité cette étude avec des titres réducteurs, voire stigmatisant le travail des omnipraticiens : "Les généralistes commettent une erreur tous les 2 jours", "Erreurs en médecine générale", "Les généralistes se trompent tous les 2 jours", etc.
 
D'autres titres étaient moins sévères avec la médecine générale, mais le buzz entourant cette information a donné une image déplorable de cette spécialité. Les lecteurs ne s'y sont pas trompés dans leurs commentaires, souvent assassins, comme celui-ci, choisi parmi… 156 commentaires globalement négatifs :
 
C'est bien pour ça que je ne vais plus les voir. Trop de faux diagnostics. Soit ils vous trouvent des maladies que vous n'avez pas, soit ils ne les voient pas. Ma fille a failli perdre la vie à cause de l'un d'eux. Heureusement, j'ai eu la présence d'esprit d'appeler son pédiatre…” (source).
 
Il se trouve que ces titres ne correspondent pas au contenu de l'étude ESPRIT. Cette dernière n'était pas destinée à recueillir les erreurs commises par les médecins généralistes eux-mêmes, mais à leur demander de rapporter en détail les problèmes liés aux soins rencontrés dans leur pratique, quelle qu'en soit l'origine : problème de délivrance, d'observance, de diffusion de l'information, de diagnostic, de retard, de relation avec les autres spécialistes, etc.
 
Dissocier les problèmes évitables et inévitables
Les auteurs, assistés d'un groupe d'experts, ont ensuite cherché à isoler, parmi ces problèmes, ceux qui auraient pu être évités par un comportement différent des soignants, des pharmaciens ou des patients, et qu'ils ont donc qualifiés d'erreurs. Les généralistes participant à ce travail étaient en position d'observateurs et non de sujets d'étude exclusifs.
 
Les journalistes auraient donc pu par exemple titrerLes généralistes constatent un problème évitable tous les 2  jours” ou “Les généralistes constatent un dysfonctionnement des soins de ville tous les 2  jours”.
 
Il est dommage qu'aucun rectificatif ne soit venu atténuer l'impact de cette erreur commise par les médias au détriment d'une profession dont l'exercice difficile attire peu de nouveaux candidats.
 
Méthodologie de l'étude ESPRIT : des limites mais des enseignements intéressants
Revenons au travail scientifique lui-même. Quelles leçons pouvons nous tirer de l'étude ESPRIT ? Cette question est d'autant plus importante que la DGOS (Direction Générale de l'Offre de Soins) souhaite s'appuyer sur ce travail pour lancer une vaste concertation destinée à améliorer la qualité des soins de ville. Nous disposons de la publication de l'étude dans le BEH, d'une présentation résumée, et d'un rapport plus complet que l'article (144 pages).
 
L'objectif de cet étude était “d'estimer au niveau national l'incidence des événements indésirables associés aux soins (EIAS) en soins primaires et d'en décrire la typologie.” Les effets indésirables étant définis comme “un événement ou une circonstance lié aux soins, qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient et dont on souhaite qu'il ne se reproduise pas de nouveau.Définition très large, donc, qui englobe aussi bien un rendez-vous oublié par le patient qu'une erreur de prescription aux conséquences graves.
 
Par ailleurs, ce travail souffre de deux limitations d'interprétation importantes, reconnues par les auteurs :
- L'échantillon de médecins généralistes participants n'est pas représentatif de la spécialité : il s'agit de membres des GROG, souvent maîtres de stage impliqués dans la vie universitaire ou la santé publique.
- Le recueil a pu être soumis à des biais : sous-déclaration de ses propres erreurs par le médecin et sous-estimation de la fréquence de ces erreurs si le patient change de médecin ou poursuit les soins à l'hôpital (qui est hors champs de recueil des EIAS). 
 
Ces limites étant posées, et si l'on évite de lui faire dire ce qu'elle ne dit pas, l'étude ESPRIT permet d'avoir une estimation approximative mais intéressante de la nature et de la fréquence des problèmes rencontrés lors des soins ambulatoires. Ce catalogue permet d'envisager des pistes d'amélioration des soins lorsque ces problèmes auraient pu être évités.
 
Les problèmes sérieux concernent moins d'1 acte sur 1000
Commençons l'analyse des résultats par la liste des évènements évitables sérieux, qui sont très peu nombreux.

Sur 13 438 actes, il est relevé 8 EIADS sérieux :
  • 1 décès : il concerne un patient âgé décédé en établissement de santé, suite à un retard de prise en charge en Ehpad, faute d'avoir obtenu un avis cardiologique rapide.
  • 4 menaces vitales sans conséquences durables :
    • Un retard de 3 jours dans la réalisation d'une NFS prescrite, montrant une anémie à 5,9 g/l d'hémoglobine, nécessitant une correction urgente.
    • Une situation thérapeutique complexe chez une femme de 70 ans, associant sepsis et des allergies médicamenteuses, avec intervention de plusieurs médecins communiquant mal entre eux.
    • Une aggravation transitoire d'une insuffisance cardiaque chez un homme âgé par surdosage en thyroxine, surdosage lié à une erreur de préparation par la pharmacie de l'EHPAD.
    • Un patient âgé qui présente un scotome et refuse le scanner, ce qui a entraîné un retard au diagnostic d'AVC et à la mise en œuvre d'un traitement préventif des récidives.
  • 3 erreurs ayant conduit à des  séquelles définitives :
    • Une insuffisance rénale de diagnostic tardif chez un patient diabétique sous metformine n'ayant pas fait de bilan depuis 10 mois.
    • Une intervention tardive sur un cancer de la prostate alors que les PSA du patient étaient élevées depuis plusieurs années.
    • Un diagnostic tardif d'une scoliose chez une adolescente.
 
A propos de ces trois derniers EIAS, les auteurs de l'étude, que nous avons contactés, reconnaissent que l'attribution de l'insuffisance rénale à la metformine est douteuse, ce médicament n'étant pas connu comme néphrotoxique. Par ailleurs, du fait des inconnues qui entourent l'intérêt du dépistage du cancer de la prostate par PSA, la perte de chance du patient opéré tardivement n'est pas certaine.
 
En pratique, parmi ces 8 évènements graves, 2 peuvent paraître contestables. Ces chiffres, à supposer qu'ils traduisent la réalité, seraient donc statistiquement très rassurants.
 
Une typologie très variée d'EIAS
L'intérêt majeur de cette étude réside surtout dans la description et le classement des erreurs évitables plus banales, riches d'enseignements pour améliorer la qualité des soins.
 
Le rapport complet est très précis. Voici le tableau général des EIAS relevés lors de l'étude ESPRIT (extrait du rapport final, page 42) :   
 
Des informations plus détaillées sont accessibles, page 47 et suivantes, avec des exemples d'erreurs évitables :
"Risque d'embolie pulmonaire chez un patient de 57 ans présentant une thrombose de la veine fémorale superficielle droite. Une prescription d'un écho doppler veineux avait été faite lors de la consultation précédente (il y a 10 jours) sans que sa réalisation en urgence ait été demandée. Le patient avait-il mal exprimé ses douleurs ? L'interrogatoire et l'examen clinique avaient-ils été bien menés ? Proposition : le rendez-vous d'écho doppler devrait être pris en direct par le médecin lors de la consultation".
 
La proposition finale du médecin ayant déclaré cet EIAS ne manquera pas de provoquer des réactions !
 
La lecture de cette liste d'exemples est particulièrement intéressante, car le survol du seul tableau récapitulatif pourrait conduire à des conclusions erronées.
 
Des causes d'erreur le plus souvent liées aux conditions actuelles d'exercice des médecins généralistes
Cette analyse fait ressortir des causes d'erreurs qui n'étonneront pas les praticiens de terrain :
  • Actions trop rapides liées à une surcharge de travail ou à un avis donné “entre deux portes”.
  • Changement de coordonnées du patient que l'on ne parvient pas à joindre pour un problème urgent.
  • Mauvaise coordination/communication entre les spécialistes qui prennent en charge un patient.
  • Mauvaise compréhension des instructions ou recommandations médicales par les patients, qu'elle soit liée ou non à une barrière de langue.
  • Erreur de classement d'examens complémentaires ou d'identification de dossiers médicaux, notamment du fait du nom présent sur la carte vitale qui n'est pas toujours le nom d'usage.
  • Pannes et défaillances des outils informatiques au cabinet.
  • Prescription omettant de prendre en compte une contre-indication.
  • Enfants perturbant la consultation de leurs parents, compromettant un geste technique (vaccination) ou se mettant en danger dans le cabinet par leur agitation.
  • Manque de disponibilité face à des demandes de consultation ou de visite urgentes.
  • Retard du médecin, salle d'attente bondée conduisant certains patient à renoncer à leur consultation.
  • Problème de secret médical, notamment en cas d'appel téléphonique pendant la consultation.
  • Difficulté pour coordonner les soins à domicile des patients dépendants.
  • Difficulté à convaincre les patients qui refusent une exploration face à un symptôme inquiétant.
  • Négligence des patients face à des contrôles importants.
  • Erreur de prescription lié à l'informatique (erreur de choix dans une liste de médicament proposée par le logiciel)
  • Erreur de prescription liée à une écriture manuscrite difficilement lisible.
  • Effets indésirables médicamenteux liés à un manque de prudence dans l'adaptation posologique par le prescripteur.
  • Effets indésirables médicamenteux liés à une erreur d'horaire de prise par le patient, à un mésusage, à un arrêt intempestif, à une erreur de posologie.
  • Vaccination doublée du fait d'une analyse préalable insuffisante du carnet de santé ou du dossier.
  • Problèmes de communication avec les patients où leurs familles lors de tensions apparues en consultation à l'occasion de divergences de points de vue.
  • Manque d'observance des patients face à des effets secondaires prévisibles dont ils n'ont pas été avertis.
  • Problèmes liés aux retards de réception des compte-rendus hospitaliers.
  • Patient absent lorsque le médecin passe pour une visite à domicile
  • Traitement prescrit directement  par un spécialiste sans passer par le médecin traitant, générant une interaction médicamenteuse.
  • Conflit entre médecin et infirmière sur la prise en charge d'un traitement local.
  • Retard dans la rédaction de documents administratifs par mauvaise coordination entre les différents soignants.
  • Absence de prescription d'un test de grossesse face à un retard de règles chez une adolescente ayant déclaré être vierge, et qui était enceinte.
  • Délais de plusieurs jours et 3 généralistes différents consultés pour faire un diagnostic de nécrose myocardique face à des douleurs des épaules chez un homme de 46 ans.
  • Prescription d'un traitement antihypertenseur par un spécialiste lors d'une consultation unique et la constatation d'une tension artérielle élevée, tension revenue à la normale spontanément.
  • Patient faisant une chute avec trauma crânien sous bêtabloquant alors qu'il a déjà présenté des alertes bradycardiques.
  • Candidose faisant suite à une antibiothérapie non indispensable.
  • Prescription d'un médicament chez un patient présentant une allergie connue à ce produit. Rectification de l'erreur par le pharmacien.
  • Associations médicamenteuses dangereuses ou inutiles.
  • Retard dans des vaccinations importantes par mauvaise information des parents.
  • Informations erronées données aux patients sur des modalités thérapeutiques ou l'évolution de pathologies.
  • Matériel inadapté au suivi de certains patients, obèses notamment.
  • Difficulté dans la réalisation d'actes techniques aux frontières des compétences du médecin généraliste.
Cette énumération dresse donc un panorama des difficultés rencontrées dans la pratique actuelle de la médecine générale. Reste à espérer que leur interprétation et que les mesures mises en œuvre seront à même d'aider les praticiens à mieux soigner leurs patients, et non à compliquer leur exercice.
 
En savoir plus :
Étude épidémiologique en soins primaires sur les événements indésirables associés aux soins en France (Esprit 2013), Michel P, Mosnier A, Kret M, Chanelière M, Dupie I, Haeringer-Cholet A, Keriel-Gascou M, et al., Bull Epidémiol Hebd. 2014;(24-25):410-6.
Les médecins généralistes font une erreur tous les deux jours, FranceTVInfo et AFP via Yahoo.fr, septembre 2014
Étude ESPRIT : les points clefs, sante.gouv.fr, juin 2014
Etude ESPRIT : présentation – résumé (fichier PDF), décembre 2013
Etude ESPRIT : rapport final (fichier PDF), décembre 2013
Sources

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