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Le Prix Nobel de médecine 2014 décerné aux co-découvreurs des fonctions "GPS" du cerveau humain

Trois neurobiologistes ont reçu le Prix Nobel de Médecine 2014 le 6 octobre, à l'Institut Karolinska (Stockholm, Suède), pour leurs découvertes sur le système de géolocalisation cérébral, sorte de "GPS" interne.

John O'Keefe a découvert, en 1971, que des cellules de l’hippocampe étaient impliquées dans la perception de la localisation de la personne. En 2005, May-Britt et Edvard Moser ont identifié un autre type de cellules qui génère, cette fois-ci,  un système de coordonnées permettant un positionnement précis et une orientation.

Retour sur des découvertes qui ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche médicale, en particulier sur la maladie d’Alzheimer (la perte de la capacité d’orientation spatiale est un de ses premiers symptômes).
07 octobre 2014 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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XVIIIe  siècle : Emmanuel Kant émet l'hypothèse de capacités d'orientation innées
En 2013, la prestigieuse fondation suédoise avait décerné le Prix Nobel de médecine à James Rothman, Randy Schekman et Thomas Südhof pour leur résolution du mystère de l'organisation des transports intracellulaires  (voir notre article).

Cette année, ce sont donc des découvertes majeures sur l'organisation des circuits cérébraux qui ont été récompensées. Les Professeurs Ole Kiehn et Hans Fossberg, membres du Comité Nobel, expliquent que dès le 18e siècle, le philosophe Emmanuel Kant avait émis l'hypothèse qu'il existait des capacités mentales innées, "indépendantes de l'expérience", permettant par exemple de percevoir la localisation.

1971 : John O'Keefe découvre que des cellules de l'hippocampe sont impliquées dans la mémorisation spatiale
Il a donc fallu attendre 1971 pour trouver un support organique à l'hypothèse de Kant, grâce aux travaux sur les rats de John O'Keefe.

Ce chercheur américano-britannique a constaté qu'un certain type de cellules nerveuses situées dans l'hippocampe (zone du cerveau jouant un rôle central dans le processus de mémorisation) étaient toujours activées lorsque le rat se situait à un certain endroit d'une pièce (Brain Research, 1971).

Lorsque le rat était situé à d'autres endroits de la même pièce, d'autres cellules étaient activées. John O'Keefe en a déduit que ces "cellules de localisation" ("place cells") permettaient au rat de constituer un plan de la pièce où il se situait :
 
 Le rat se déplace sur le carré gris. Des "place cells" s'activent lorsqu'il se situe dans la zone jaune. D'autres "place cells" s'activent lorsqu'il est à d'autres endroits de la pièce.

Plus tard, après avoir fait d'autres expériences, O'Keefe et ses collaborateurs ont montré que ces cellules pourraient avoir des fonctions mémorielles, puisque lorsque l'aménagement de la pièce changeait, les rats mémorisaient ces changements.

Ces cellules de l'hipocampe joueraient donc également un rôle dans la mémorisation des localisations.

2005 : les époux Moser découvrent que des neurones situés près de l'hippocampe sont impliqués dans la navigation spatiale
May-Britt et Edvard Moser sont deux neurophysiologistes norvégiens qui se sont rencontrés pendant leurs études. Ils se sont demandés si les "cellules de localisation" pouvaient être activées en dehors de l'hippocampe. Ils ont alors découvert qu'une zone du cerveau située sous l'hippocampe, le cortex entorhinal, contenait des cellules impliquées dans la mémorisation spatiale (Nature 2005).

Ces cellules, qu'ils ont appelé "grid cells" ("cellules de la grille"), s'activent lorsque le rat se tient à différents endroits d'une pièce. Ces endroits  forment un réseau hexagonal qui va permettre à l'animal de s'orienter, d'évaluer les distances et donc de compléter le travail de cartographie effectué par les "cellules de localisation" :
Les "grid cells" s'activent lorsque le rat se rend dans certains endroits de la pièce grise. Ces endroits sont organisés en motifs hexagonaux.

Confirmation de l'activation de ces réseaux cellulaires par l'optogénétique
En utilisant l'optogénétique (technique permettant de modifier le génome de cellules cibles pour les rendre sensibles à la lumière jaune ou bleue, voir notre article), May-Britt et Edvard Moser ont pu montrer (Science 2013que les "cellules de la grille" du cortex entorhinal s'activaient en masse lorsque les "cellules de localisation" étaient activées (respectivement en bleu et en jaune ci-dessous) :
 
 

Cette même étude optogénétique a montré que deux autres types de cellules interviennent également lorsque les "place cells" sont activées : les "head-direction cells", qui s'activent lorsque la tête de l'animal pointe dans une certaine direction, et les "border cells", activées lorsque l'animal rencontre une bordure, un mur, un obstacle.

Il y a donc bien un réseau de plusieurs types de cellules neuronales impliquées, chez le rat, dans la mémorisation des lieux, des trajets pour y parvenir et des obstacles à éviter.

Découverte de réseaux cellulaires similaires chez l'homme
Plusieurs types de cellules cérébrales, de l'hippocampe et à proximité, permettent donc aux rats de se repérer, d'activer ce que l'on appelle la mémoire spatiale. Chez l'homme, plusieurs travaux ont confirmé l'existence d'un mécanisme similaire.

Dès les années 50, Scoville et Miller avaient constaté qu'un de leurs patients, Henry Molaison, n'arrivait plus à mémoriser de nouvelles informations (déficit de ce que l'on appelle la "mémoire épisodique", par opposition avec la "mémoire à long terme"). Or ce patient avait subi une ablation chirurgicale de ses deux hippocampes pour tenter de traiter son épilepsie (The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences 1957).

A l'inverse, les chauffeurs de taxi londoniens, qui doivent subir un entraînement intensif pour mémoriser les milliers de recoins de la capitale anglaise, présentent une hypertrophie des hippocampes (Current Biology 2011), confirmant le rôle central de cette structure dans la mémorisation des positions et trajets.

De plus, des cellules similaires aux "cellules de localisation" et aux "cellules de la grille" ont été retrouvées chez l'homme, en enregistrant directement les flux neuronaux de patients jouant à un jeu vidéo de positionnement (PNAS 2010) et d'orientation (Nature Neuroscience 2013). Ces patients présentaient une épilepsie résistante aux traitements médicamenteux ; des électrodes avaient été implantées dans leur cerveau afin d'identifier les foyers épileptogènes en vue d'une ablation chirurgicale.

Une avancée dans la compréhension des troubles de la mémoire à court terme
La mémoire épisodique, ou mémoire immédiate, à court terme, est notamment affectée dans la maladie d'Alzheimer. Or cette maladie se caractérise par des dépôts anormaux de protéines bêta-amyloïdes au niveau des neurones (voir notre article), et l'hippocampe est une des premières structures cérébrales affectées. Peut-être que ces dépôts empêchent les cellules de localisation et d'orientation de fonctionner, ce qui expliquerait les troubles précoces de la mémoire épisodique chez ces patients ? Les recherches se poursuivent encore aujourd'hui.

En tout cas, la découverte de ces cellules cérébrales spécialisées dans la localisation et l'orientation a ouvert un nouveau champ de recherche sur la mémoire, la pensée et la planification de tâches, ce qui explique l'attribution de cette prestigieuse récompense.

En savoir plus :
Site du Comité Nobel :
The Nobel Prize in Physiology or Medicine 2014 John O'Keefe, May-Britt Moser, Edvard Moser, nobelprize.org, 6 octobre 2014
Scientific Background The Brain's Navigational Place and Grid Cell System, Ole Kiehn et Hans Forssberg, Karolinska Institutet, nobelprize.org, 6 octobre 2014
 
Etudes des lauréats (sélection, pour une bibliographie plus complète, cf. pages 7 et 8 de ce document) :
The hippocampus as a spatial map. Preliminary evidence from unit activity in the freely-moving rat, O'Keefe J et Dostrovsky J, Brain Research, 1971
Single unit activity in the rat hippocampus during a spatial memory task, O'Keefe J et Speakman A, Experimental brain research, 1987
Microstructure of a spatial map in the entorhinal cortex, Torkel Hafting, May-Britt Moser, Edvard I. Moser et coll., Nature, 2005
Optogenetic Dissection of Entorhinal-Hippocampal Functional Connectivity, Sheng-Jia Zhang, May-Britt Moser, Edvard I. Moser et coll., Science 2013
 
Autres études citées par les Pr Ole Kiehn et Hans Forssberg et mentionnées dans cet article :
Loss of recent memory after bilateral hippocampal lesions. 1957., Scoville WB et Milner B, The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences, 1957
Acquiring “the Knowledge” of London's Layout Drives Structural Brain Changes, Katherine Woollett et Eleanor A. Maguire, Current Biology, 2011
A sense of direction in human entorhinal cortex, Jacobs J et coll., PNAS, 2010
Direct recordings of grid-like neuronal activity in human spatial navigation, Jacobs J et coll., Nature Neuroscience, 2013
Sources

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