#Santé publique

Vieillissement : l’Académie de Médecine recommande de dépister la "pré-fragilité" dès 50 ans

En 2060, la population française devrait compter un tiers d’habitants de plus de 60 ans, et le nombre de personnes âgées dépendantes devrait doubler, s’inquiète l’Académie de médecine.

Afin d’éviter cette explosion de la dépendance (et des dépenses afférentes), l’Académie préconise d’anticiper la prise en charge gériatrique et de rechercher les causes de fragilité, ou de pré-fragilité, qui sont souvent réversibles lorsqu’elles sont détectées précocemment.
21 mai 2014 12 juin 2018 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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L'Académie préconise de rechercher, dès 50 ans, des signes de pré-fragilité, comme une baisse de la force musculaire (illustration).

L'Académie préconise de rechercher, dès 50 ans, des signes de pré-fragilité, comme une baisse de la force musculaire (illustration).


La sarcopénie, signe précurseur de la fragilité
Les auteurs  du rapport de l'Académie (Jean-Pierre Michel* et les membres de la Commission XIII de l'Académie*)  rappellent que la fragilité est un concept récent, défini ainsi à la fin des années 90 par Linda Fried : "la fragilité est une vulnérabilité liée à l'avancée en âge, due à une altération des réserves homéostatiques de l'organisme qui devient incapable de surmonter un quelconque stress".

Concrètement, le processus de fragilisation, plus ou moins accéléré par l'âge, le sexe, l'éducation, le mode de vie (sédentarité, tabac, alcool, malnutrition), les conditions socio-économiques, les problèmes psychologiques et psychiatriques, se déroule sur plusieurs décennies de vie et comporte plusieurs étapes plus ou moins facilement repérables :

- Fragilisation, ou "pré-fragilité" : cette période est silencieuse au début (pas de signe clinique évident). Elle correspond à la diminution des réserves, diminution qui peut être provoquée et/ou accélérée par l'apparition d'une maladie, un traumatisme, une sous-nutrition, une sédentarité excessive, etc.

- Sarcopénie : il s'agit d'une diminution de la masse musculaire, dont le pic se situe entre 20 et 30 ans.  Cette sarcopénie, "composante physique de la fragilité", est liée au vieillissement, mais peut s'accélérer sous l'influence d'une sous-alimentation, d'une sédentarité, d'un alitement prolongé, de troubles de l'absorption digestive, de la prise de médicaments anorexigènes, d'une inflammation chronique, d'une insuffisance cardiaque, hépatique, rénale ou respiratoire, de dérégulations hormonales, de dysfonctions vasculaires, nerveuses, d'une sous-alimentation, etc. La sarcopénie peut être objectivée avant la fonte musculaire par la perte de puissance et de force due à une diminution des fibres musculaires de type II (ces fibres sont  impliquées dans les réponses rapides et les mouvements fins).

- Etat de fragilité : il "doit être considéré comme un stade initial de dépendance fonctionnelle", résument les auteurs. Parallèlement à l'apparition de la sarcopénie, "une diminution du métabolisme de base et une réduction des dépenses énergétiques globales entretiennent le processus de fragilisation" ("cycle vicieux"). Un incident médical, traumatique ou psychologique peut précipiter la dégradation et déboucher sur la fragilité.

Identifier la fragilité
Les 5 critères de Linda Fried sont les plus utilisés : l'anorexie, la perte de poids involontaire, la sensation de fatigue voire d'épuisement, la diminution de la force de préhension et le ralentissement de la marche.

Si 2 de ces signes sont présents, il s'agit d'un état de pré-fragilité. S'il y en a 3, il s'agit d'un état de fragilité.

Deux autres aspects, dont il semble "incontestable qu'ils interviennent dans le processus de fragilisation,  doivent être pris en compte :  la fragilité cognitive et la fragilité sociale (recherche d'un isolement social, d'une solitude de plus en plus mal tolérée...). 

Les auteurs font remarquer qu'il est possible d'être obèse et fragile (perte de la masse maigre et accumulation de la masse grasse : "obésité sarcopénique").

Cette fragilité va altérer la qualité de vie au quotidien (les gestes et ports de charges deviennent difficiles par exemple), majorer les risques de chutes et leurs conséquences, accroître la consommation de médicaments, augmenter les soins, hospitalisations, puis déboucher, si le processus n'est pas inversé ou stabilisé, sur la dépendance.

La fragilité est réversible par l'activité physique !
Les auteurs soulignent qu'une analyse de 52 études transversales, incluant un suivi de 2,5 à 30 ans, a montré la réversibilité de la sarcopénie par l'activité physique (plus précisément par des exercices de résistance –levée de poids, redressements assis, exercices avec une bande de résistance, etc.- qui augmentent la masse et la force musculaire) et la prise de suppléments nutritionnels  (protéines, acides aminés essentiels) : augmentation de la force musculaire, amélioration de la pratique des activités quotidiennes et réduction de la perte de masse osseuse (cette revue de 52 études est en attente de publication dans Age Ageing).

Une autre étude citée par les auteurs, l'étude SHARE (suivi entre 2006 et 2011 de 15 566 personnes, sans intervention médicale),  a montré en 2013 que 32,4 % des "pré-fragiles" suivis étaient "redevenus robustes" au bout de 5 ans, probablement à la suite d'initiatives personnelles (ou avec leur médecin traitant, en dehors de l'étude). De même, 31,9 % des "fragiles" sont redevenus "pré-fragiles", et même 7 % sont redevenus "robustes".

Quelle place pour les autres approches thérapeutiques ?
Jean-Pierre Michel  évoque dans son rapport les autres tentatives de prise en charge  de la sarcopénie :
- la vitamine D montre des "résultats positifs sur la masse et la force musculaire, ainsi que sur la prévention des chutes". Ces résultats dépendent cependant de l'existence d'un déficit pré-existant et de la dose administrée. La supplémentation recommandée, notamment par l'ESCEO (European Society for Clinical and Economic Aspects of Osteoporosis and Osteoarthritis), est de 800 à 1 000 UI/jour de vitamine D3 ;
- le HMB (hydroxy-méthylbutyrate), métabolite naturel d'acides aminés, augmente la synthèse des protéines et inhibe leur dégradation. Son efficacité a été démontrée chez les personnes âgées fragiles, en association ou non avec des exercices physiques de résistance (Experimental gerontology, 2013) ;
- d'autres molécules  ou substances testées n'ont pas  donné de résultats véritablement probants  ou sont mal tolérées : testostérone, hormone de croissance, ghréline, créatine, Ginko biloba, Ornitihine-cétoglutarate, inhibiteurs de l'enzyme de conversion, antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II et statines ;
- les inhibiteurs de la myostatine (anticorps recombinants) pourraient en théorie provoquer une hypertrophie musculaire, mais ils sont pour le moment encore en test chez les sujets âgés et fragiles.

Il est urgent de dépister plus précocement la fragilité
Les interventions (activité physique, augmentation des apports protéiques, supplémentation en vitamine D si nécessaire, réduction du nombre de médicaments quotidiens, voire supplémentation en HMB) sont souvent proposées trop tardivement, alors que, selon les auteurs, "leur impact maximum serait dans la tranche de 50 à 60 ans".

Pour l'Académie, il est donc "possible et urgent d'inverser la tendance" en mettant tout en oeuvre pour anticiper la survenue de la fragilité.

L'exemple du Gérontopôle de Toulouse
Les auteurs remarquent l'initiative du Gérontopôle de Toulouse, qui a innové en sensibilisant les médecins généralistes de Toulouse à la problématique des dépendances "évitables" avec l'âge. Ils ont également sensibilisé le grand public en diffusant dans la presse un questionnaire simple (perte de poids involontaire, sensation de fatigue intense, diminution de la vitesse de marche, etc.) qui doit amener les personnes qui répondent positivement à consulter leur médecin généraliste.

Ce dernier fait alors sa propre évaluation et, en cas de fragilité détectée, propose une consultation en hôpital de jour pour évaluation de la fragilité, des troubles, de leur impact et détermination des mesures à mettre en œuvre, comme nous l'avait détaillé en mars dernier le Dr Christophe Trivalle, gériatre à l'Hôpital Paul Brousse (Villejuif, APHP) :
 

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Dépister la fragilité dès 50 ans pour inverser la tendance à la dépendance
Le travail d'analyse de la littérature et des expérimentations menées, comme celle décrite ci-dessus, montrent donc qu'il est possible de détecter une fragilité débutante et de la contrer avec des mesures adaptées, du moins si les pathologies ou traumatismes associés ne sont pas trop lourds.

L'Académie Nationale de Médecine recommande donc :
1. D'inclure dans toutes les séances d'éducation à la santé destinées aux adultes d'âge moyen une information sur la possible prévention de la fragilité et des dépendances liées à l'âge.
2.  De demander à l'Assurance Maladie de rembourser intégralement une consultation  à mi-vie avec un protocole préétabli incluant une évaluation multidimensionnelle (recherche de fragilité, pré-fragilité) pour réduire les "dépendances évitables".
3. De faciliter une recherche translationnelle (alliance de la recherche fondamentale et de la recherche cliniquepour mieux comprendre les mécanismes intimes de la sarcopénie et de la fragilité afin de retarder les états de dépendance et l'âge d'entrée en institution.

Au-delà de ces recommandations, l'Académie insiste sur la détection des signes de fragilité par tous les moyens possibles : questionnaire publié dans la presse comme à Toulouse, recherche de signes lors des visites médicales comme celle conseillée au moment du passage à la retraite, lutte contre la iatrogénie (risque lié au cumul de médicaments), nécessité de repenser le soin en intégrant davantage la recherche des causes et l'impact des médicaments sur la dépendance, organiser une collaboration multidisciplinaire et  mettre en place des interventions spécifiques.

Un vaste défi… bientôt encouragé par les autorités sanitaires ?
Cette analyse et cet appel, qui prolongent bien sûr d'autres constats, notamment institutionnels et associatifs, impliqueraient, comme l'affirme l'Académie, de penser prévention, de changer les pratiques médicales et de repenser notre système de santé. 

Ces appels au changement seront-ils entendus, alors que la ministre de la santé, Marisol Touraine, vient de confirmer qu'une loi de santé serait annoncée dans les prochaines semaines ?

En tout cas, remarquons cette approche préventive et collaborative, centrée sur le vécu des patients, correspond quasi-exactement aux 3 "piliers" décrits par Marisol Touraine dans la présentation de la Stratégie Nationale de Santé : la prévention, la "révolution du premier recours" et une meilleure reconnaissance des droits des malades.


* Jean-Pierre Michel déclare avoir des liens avec Abbott Nutrition, Danone, Edward Valves, Enzymotec, Fresenus, Merck, Nestlé, Newron, Nutricia, Pfizer vaccines, Sanofi Pasteur Mérieux. Les membres de la commission XIII déclarent ne pas avoir de lien d'intérêt en relation avec le contenu du rapport.


En savoir plus (par ordre de citation) :
- "Importance du concept de FRAGILITÉ pour détecter et prévenir les dépendances «évitables» au cours du vieillissement" (rapport, fichier PDF), Jean-Pierre Michel, Académie nationale de Médecine, mai 2014 (résumé sur le site de l'Académie, et communiqué de presse). Ce rapport comporte une importante bibliographie, incluant les études citées dans cet article et reprises ci-dessous.
- "Frailty in older adults: evidence for a phenotype" Résumé, étude complète  (PDF), Fried L. & coll., The journals of gerontology. Series A, Biological sciences and medical sciences, mars 2001.
-"Prevalence of and interventions for sarcopenia in ageing adults – a systematic review Report of the International Sarcopenia Initiative (EWGSOP and IWGS)",  Cruz-Jentoft AJ et coll., Age Ageing, 2014, en cours de parution (résultats présentés en mars 2014 lors d'une conférence sur la fragilité et la sarcopénie, à Barcelone).
- "First results from SHARE after the economic crisis Transitions between frailty states – a European comparison (fichier PDF)", Borrat-Besson C, R.V., Wernli B, châpitre 15, pages 175-86 de  l'ouvrage "Active ageing and solidarity between generations in Europe" (accès libre), B.M. Börsch-Supan A, / Litwin H, Weber G, Editor 2013, DE GRUYTER.
- "Vitamin D supplementation in elderly or postmenopausal women: a 2013 update of the 2008 recommendations from the European Society for Clinical and Economic Aspects of Osteoporosis and Osteoarthritis (ESCEO)", Rizzoli R et coll., Current Medical Research and Opinion, avril 2013
- HMB (hydroxy-méthylbutyrate), fiche Wikipedia (en anglais)
- "Effect of calcium ?-hydroxy-?-methylbutyrate (CaHMB) with and without resistance training in men and women 65+ yrs: A randomized, double-blind pilot trial", Stout JR et coll., Experimental Gerontology, novembre 2013
- La myostacine, point sur les connaissances actuelles et la recherche en cours, INSERM - U1046, Université Montpellier 1
- Le site du Gérontopôle de Toulouse
- "L'hôpital de jour d'évaluation de la fragilité et de prévention de la dépendance", blog de l'Institut des sciences du vieillissement, 6 mai 2014
- "La recherche translationnelle, de la molécule au patient", robertdebre.aphp.fr

Sur Vidal.fr :
- Dr Christophe Trivalle, gériatre : l'intérêt du dépistage de la fragilité des personnes âgées (mai 2014)
- Stratégie nationale de santé : les principales annonces de Marisol Touraine et Geneviève Fioraso (septembre 2013)

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