#Santé publique

Grossesse et tabac : une étude sur l’efficacité des patchs pose des questions médicales et éthiques

Le Dr Ivan Berlin et ses collègues ont administré à 402 femmes des patchs, à la nicotine ou placebo, pendant les 6 derniers mois de leur grossesse. Selon les résultats de cette étude française, publiée le 11 mars 2014 dans le British Medical Journal, les patchs nicotiniques ne seraient pas efficaces dans ce contexte.

Mais que changent ces résultats sur le sevrage tabagique des femmes enceintes fumeuses ?

Par ailleurs, faut-il, comme le suggèrent les auteurs, refaire des études de ce type sur de plus larges populations, malgré de possibles risques ?
13 mars 2014 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Résumé de l'étude : pas de différence significative trouvée avec des patchs nicotiniques ou des patchs placebo
L'équipe de l'hôpital de la Pitié Salpétrière, financée par la Direction Générale de la Santé, a étudié l'influence de l'utilisation de patchs nicotiniques sur le poids du bébé à la naissance et sur l'obtention d'une l'abstinence complète de la mère (abstinence évaluée lors de chaque visite mensuelle par l'interrogatoire et par la mesure du monoxyde de carbone dans l'air expiré, qui devait être inférieur à 8 ppm).

Pour cela, ils ont suivi, entre 2007 et 2012, 402 femmes de plus de 18 ans et enceintes. Elles ont été recrutées par un mailing de l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé).  Elles fumaient au moins 5 cigarettes par jour, étaient enceintes d'au moins 7 semaines et étaient motivées pour arrêter. Elles ne prenaient pas de médicaments indiqués dans le sevrage tabagique (bupropion, varenicline).

Ces femmes, suivies dans 23 maternités, ont reçu quotidiennement, à partir de la fin du premier trimestre de grossesse, des patchs délivrant de 10 à 30 mg de nicotine par jour (doses adaptées en fonction de la concentration salivaire en nicotine liée au tabagisme), ou des patchs placebo. Des documents, conseils mensuels (au moins pendant 10 minutes à chaque visite) et recommandations leur ont été également fournis.

Résultat : dans les conditions de cette étude, les patchs n'influent ni sur le poids de naissance des bébés, ni sur le succès du sevrage complet (5,5 % dans le groupe nicotine, 5,3 % dans le groupe placebo), y compris avec de fortes doses quotidiennes de nicotine. Par contre, les femmes sous patchs nicotiniques ont présenté une tension artérielle significativement plus élevée (0,8 point en moyenne).

Les forces et les faiblesses de cette étude, selon les auteurs
- Côté "forces", ils soulignent le fort taux d'adhésion des femmes enceintes au protocole, attribué à l'ajustement de la dose de nicotine sur leur tabagisme et au réalisme du placebo, fourni par la compagnie ayant fabriqué les patchs nicotiniques.
- Côté "faiblesses", les auteurs soulignent le démarrage tardif de la prise en charge (fin du premier trimestre), alors même que les sevrages précoces préservent au mieux la santé du bébé. Mais les auteurs expliquent ne pas l'avoir fait en raison d'éventuels risques neurotoxiques de la nicotine au premier trimestre. Ils rappellent également qu'il s'agissait de femmes dépendantes et motivées à arrêter en cours de grossesse, ce qui est difficilement généralisable à d'autres femmes, moins dépendantes ou moins motivées. Enfin, ils expliquent que les différences auraient pu devenir significatives si le nombre de femmes suivies avait été plus important.

Ces faiblesses limitent donc fortement la portée de cette étude, qui ne permet donc pas de conclure sur l'utilité, ou l'inutilité, de ces patchs.

Mais les auteurs font remarquer que leurs résultats rejoignent ceux d'une étude (protocole proche, population 2 fois plus importante) et de deux méta-analyses effectuées par Coleman T et coll. N Engl J Med 2012Addiction 2011 ; Cochrane Database Syst Rev 2012).

A contrario, ils mentionnent aussi qu'une autre étude montre un possible intérêt d'une combinaison des patchs avec d'autres sustituts agissant plus rapidement, comme les inhalateurs ou les gommes (Brose LS et coll., Drug Alcohol Depend 2013). Il faudrait donc, toujours selon les auteurs, que "l'efficacité prometteuse de substituts nicotiniques combinés soit évaluée par des essais cliniques contrôlés, pendant la grossesse et à la naissance".

En attendant ces éventuelles preuves d'efficacité, ils préconisent de privilégier le soutien comportemental.

Faut-il vraiment mettre en place d'autres études de ce type ?
Ce protocole n'a donc pas permis d'aider les femmes enceintes à se sevrer, tout comme l'étude menée par Coleman T et coll. Il les a, de plus, exposées à des risques, puisque près de 200 femmes ont continué à fumer avec de fortes doses de nicotine délivrées par patch, ce qui a augmenté leur tension artérielle. Faut-il, comme le recommandent les auteurs, poursuivre dans cette voie et tester à nouveau ces patchs ou d'autres substituts nicotiniques sur de plus larges populations de femmes enceintes ?  

Non, selon le Dr Philippe Presles, tabacologue, interrogé par Jean-Yves Nau, médecin journaliste, qui souligne que "sur les 384 bébés nés au terme de ce protocole, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Pourquoi les a-t-on laissés souffrir de la sorte ? Parce que l'on craignait d'être responsable de leur souffrance si on avait prescrit de la nicotine à leur mère au cours du premier trimestre ? Parce que l'on craignait de leur prescrire trop de nicotine, même si leurs mères continuaient à les intoxiquer avec du monoxyde de carbone ? A force de réclamer toujours plus d'études pour y voir plus clair, ne finit-on pas par abandonner les patients ?"

Sevrage tabagique et grossesse : pas de solution miracle…
Au-delà des aspects éthiques soulevés par cette étude et relevés par les Dr Presles et Nau, ce travail rappelle la complexité du sevrage tabagique et la difficulté d'évaluation de mesures non personnalisées. Le pouvoir addictogène de la cigarette est très élevé, induisant une dépendance massive et résistante à de multiples mesures, médicamenteuses (substituts, médicaments) ou non (augmentation des prix du tabac, communication, interdiction de fumer dans les lieux publics, etc.).

De plus, de nombreux facteurs personnels interviennent, ce qui complique l'évaluation de l'efficacité de telle ou telle mesure : motivation individuelle, niveau socio-économique (les personnes les plus pauvres, les moins éduquées fument davantage et ont plus de mal à arrêter), ancienneté du tabagisme, tentatives antérieurs de sevrage, voire, aujourd'hui, essai de substitution par la cigarette électronique.

Chez la femme enceinte, d'autres facteurs peuvent également influer sur la motivation nécessaire pour réussir ce sevrage : présence d'un conjoint fumeur, grossesses antérieures, entourage (amies enceintes fumeuses par exemple), stress (physiologique et psychologique) incitant à fumer (tabagisme souvent perçu comme relaxant), etc.

Ces facteurs, et probablement d'autres, expliquent au moins en partie les difficultés du corps médical à obtenir une cessation du tabagisme chez les femmes enceintes fumeuses. Peut-être qu'à la place de protocoles limités, voire risqués, il faudrait observer attentivement les réussites au niveau individuel, régional, national et international, afin de dégager les combinaisons thérapeutiques optimales en fonction de l'âge, l'ancienneté du tabagisme, les facteurs individuels favorisants ou défavorisants, etc. ?

Jean-Philippe Rivière

En savoir plus :
- La publication du Dr Ivan Berlin et coll. dans le British Medical Journal le 11 mars 2014 (article intégral, en anglais) : "Nicotine patches in pregnant smokers: randomised, placebo controlled, multicentre trial of efficacy"
- Etude randomisée auprès de 1050 femmes anglaises enceintes et fumeuses, traitées pendant 2 mois par patchs nicotiniques (ou placebo) et soutien comportemental, parue dans le New England Journal of Medicine (Coleman T et coll., article complet, en anglais) : "A Randomized Trial of Nicotine-Replacement Therapy Patches in Pregnancy"
- Revue de 5 études par Coleman T et coll. parue dans Addiction 2011 (résumé en anglais) : "Efficacy and safety of nicotine replacement therapy for smoking cessation in pregnancy: systematic review and meta-analysis"
- Méta-analyse de 6 essais cliniques par Coleman T et coll., parue dans The Cochrane database of systematic reviews en 2012 (résumé en anglais) : "Pharmacological interventions for promoting smoking cessation during pregnancy"
- Analyse de Brose LS et coll. des données recueillies auprès de 3880 femmes fumeuses anglaises ayant tenté d'arrêter pendant leur grossesse. Cette étude, parue en 2013 dans Drug and Alcohol Dependence, montre une efficacité supérieure de l'association d'un patch nicotinique à la prise d'un substitute nicotinique d'action plus rapide (exemple : inhalateur) : "Association between nicotine replacement therapy use in pregnancy and smoking cessation"(résumé en angalis)
- L'article du Dr Jean-Yves Nau sur cette étude, avec la réaction du Dr Philippe Presles : "Fœtus de fumeuses : l'étude française qui fait presque honte". 
 
Sources

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