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Codéine et anti-histaminiques sédatifs disponibles sans ordonnance : risques de mésusage, abus ou dépendance (étude)

Certains antalgiques contenant du paracétamol et de la codéine sont disponibles sans ordonnance, tout comme certains antihistaminiques à effet sédatif.

Résultat : des prises prolongées sont possibles et peuvent présenter des risques notables, selon les résultats d'une étude menée par une équipe de chercheurs en pharmacoépidémiologie de l’Inserm de Toulouse.
08 novembre 2013 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Les médicaments d'automédication à base de codéine ne sont pas en libre accès, ils doivent être demandés au pharmacien.

Les médicaments d'automédication à base de codéine ne sont pas en libre accès, ils doivent être demandés au pharmacien.


Une étude menée par questionnaires distribués en pharmacie auprès de 295 patients
Treize spécialités contenant au maximum 20 mg de codéine par comprimé sont accessibles en France sans prescription. Les patients peuvent également se procurer sans ordonnance divers anti-histaminiques, dont trois sont indiqués en cas de troubles du sommeil : l'alimemazine, la doxylamine et la promethazine.

Anne Roussin et ses collègues de l'UMR 1027 de l'Inserm (Toulouse), avec le soutien  financier de l'ANSM (Agence nationale de sécurité des médicaments et produits de santé) et de la MILDT (Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et toxicomanies), ont demandé à 145 pharmacies, choisies de façon aléatoire en France, de proposer un questionnaire aux 12 premiers patients qui leur ont demandé de tels médicaments (paracétamol seul, paracétamol + codéine, anti-histaminiques sédatifs).

915 questionnaires ont été proposés (seuls 10 % des patients ont refusé) et 407 ont été retournés remplis à l'Inserm. 383 ont été retenus. L'analyse a porté sur les 295 patients (âge moyen 48,5 ans, 68,5 % de femmes) qui avaient déjà pris ces médicaments le mois précédent.

Evaluation d'éventuels mésusages, abus ou dépendances
Le mésusage était évalué par les réponses à 8 questions, indiquant notamment une consommation à doses trop élevées ou pendant une durée supérieure à celle préconisée.

L'abus était défini par un usage excessif influant sur la santé ou la vie socioprofessionnelle du patient.

La dépendance a été estimée par la réponse à des questions inspirées du DSM IV : doses trop élevées, envie persistante de diminuer les prises ou impossibilité d'y parvenir, prise de ce médicament malgré un retentissement négatif sur la santé ou la vie socioprofessionnelle, ou encore refus d'un autre médicament proposé par le pharmacien.

Paracétamol seul : ni mésusage ni abus, rares "dépendances"
Sur les 107 patients utilisant le paracétamol, 4 ont été qualifiés de dépendants, puisqu'ils avaient besoin de doses plus élevées que recommandé pour obtenir un effet antalgique. Ils souhaitaient également diminuer leur consommation.

Parmi les autres patients, 19 étaient utilisateurs quotidiens, et 10 d'entre eux depuis plus de 6 mois. Mais ni abus ni réel mésusage n'ont été constatés.

Paracétamol + codéine : près d'1 patient sur 5 semble dépendant
Parmi les 118 patients prenant des médicaments sans ordonnance contenant ces 2 principes actifs, 30 (25,4 %) en utilisaient tous les jours, alors que la durée recommandée est normalement de 10 jours. Près d'1 patient sur 5 (19,5 %) en prenaient même tous les jours depuis plus de 6 mois, principalement de maux de tête persistants.

Le mésusage a été constaté sur 8 questionnaires (6,8 %), avec par exemple une patiente de 38 ans qui en prenait à dose maximale tous les jours depuis 3 ans, pour un "effet anxiolytique et par habitude".

L'abus n'a été constaté que sur un seul questionnaire, mais 21 (17,8 %) patients semblaient dépendants à ces produits (doses croissantes, désir d'arrêter, etc.). 

Neuf de ces 21 patients ont décrit des effets indésirables : constipation, nausées, vertiges, douleurs gastriques, humeur dépressive, anxiété, fatigue, troubles de l'attention, nervosité ou encore somnolence.

Anti-histaminiques sédatifs : le mésusage au premier plan
Parmi les 70 patients ayant déclaré avoir pris le mois dernier de tels médicaments, seul 1 présentait des signes de dépendance.

Par contre, le mésusage était bien plus fréquent : 72,2 % des utilisateurs de doxylamine en consomment tous les jours et 61,5 % depuis 6 mois, alors que la durée recommandée de traitement est de…. 5 jours.  Un utilisateur en prenait quotidiennement depuis 18 ans.

Une large majorité de patients explique cet usage chronique par un "effet rebond" (reprise de l'insomnie) à l'arrêt du traitement ou lorsque la dose quotidienne diminue.

Des mésusages et dépendances à prendre en compte
Cette étude comporte un biais important, lié à un remplissage du questionnaire dans différentes conditions (directement sur place, en pharmacie, ou à la maison). De plus, les patients utilisant la codéïne ou un anti-H1 sédatif ont rempli, proportionnellement, moins de questionnaires que ceux sous paracétamol seul, ce qui peut sous-estimer les problèmes rencontrés. Enfin, la dépendance à la codéïne est liée notamment à des effets psychoactifs, tandis que le paracétamol n'en provoque aucun (pseudo-addiction ?).

Malgré ces biais, cette étude comporte des résultats quantitatifs et qualitatifs intéressants, issus de patients venant de toute la France : les auteurs soulignent  en particulier l'importance du nombre de patients semblants dépendants à la codéïne. Des inquiétudes sont également formulées dans d'autres pays, comme l'Australie, où les médicaments codéïnés sont en vente libre (Frei MY et coll., 2010 : étude de 27 cas de complications avec l'association codéine - ibuprofène).

"Ces résultats montrent qu'une dépendance s'installe effectivement chez de nombreux utilisateurs. Cela pose plusieurs problèmes, explique Anne Roussin interrogée par l'Inserm. D'abord, l'efficacité des antihistaminiques sédatifs a été évaluée sur du court terme et rien ne garantit leur efficacité au-delà de quelques jours ou quelques semaines. Pour les antalgiques codéinés, on sait même qu'au contraire, l'abus ou l'usage persistant contribue à l'installation de céphalées quotidiennes chroniques. Par ailleurs, ces deux types de médicaments entrainent des problèmes de vigilance. Ces prises prolongées posent donc la question d'un risque accru d'accidents de la route ou de la vie quotidienne, comme des chutes", conclut la chercheuse.

Vers une augmentation des risques liée à une modification des usages ?
Outre le conseil médecin et pharmacien, les auteurs évoquent une possibilité de sensibilisation par les autorités de santé aux risques potentiels de ces médicaments d'automédication, comme c'est fait en Angleterre depuis 2009 (brochures de sensibilisation, avertissements sur les boîtes).

Une sensibilisation qui pourrait permettre de minimiser les risques, d'autant que les usages à risque pourraient être en augmentation. En effet, le nombre d'utilisateurs de l'association codéine/paracétamol a  augmenté de 131% entre 2007 et 2012, comme l'a constaté l'ANSM (voir notre article). Une hausse de la consommation liée, au moins en partie, au retrait du DI-ANTALVIC en mars 2011. En conséquence, cette association est devenue l'antalgique de palier II le plus utilisé en 2012, devant l'association tramadol/paracétamol.

Jean-Philippe Rivière

Sources et ressources complémentaires :
- "Misuse and Dependence on Non-Prescription Codeine Analgesics or Sedative H1 Antihistamines by Adults: A Cross-Sectional Investigation in France", Anne Roussin et coll., PLlOS ONE, octobre 2013
- "Mésusage, abus et dépendance à des médicaments disponibles sans ordonnance", Inserm.fr, 8 novembre 2013
- "Serious morbidity associated with misuse of over-the-counter codeine–ibuprofen analgesics: a series of 27 cases", Frei MY et coll., The Medical Journal of Australia, 2010
- "Over-the-counter painkillers containing codeine or dihydrocodeine", mhra.gov.uk, septembre 2009
- "Réunion du Comité technique de Pharmacovigilance – CT012013033 - Séance du 21 mai 2013". Compte-rendu mis en ligne sur le site de l'ANSM (fichier PDF) le 23 août 2013. 
Sources

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