#Santé publique #COVID-19

Vaccins contre la COVID-19 : doit-on s'inquiéter du risque de maladie aggravée chez les personnes vaccinées ?

Anticorps facilitants, ADE (antibody-dependent enhancement – aggravation dépendante des anticorps) ou VAED (vaccine-associated enhanced disease -  maladie aggravée par la vaccination). Depuis le début de la pandémie de COVID-19 et la course au vaccin, ces concepts ont été brandis comme autant d’épouvantails. Est-il possible que les personnes qui se contamineraient, malgré la vaccination, développent plus fréquemment des formes sévères de COVID-19 ?

Avec un seuil d’efficacité minimal des vaccins contre la COVID-19 fixé à 50 % par les agences de régulation, l’hypothèse mérite d’être étudiée, d’autant plus que le risque d’ADE augmente lorsque les taux sanguins d’anticorps neutralisants sont insuffisamment élevés, ce qui, avec un tel seuil minimal d'efficacité, pourrait advenir chez un pourcentage non négligeable de personnes vaccinées.

Nous vous proposons une synthèse des connaissances sur les phénomènes d’ADE, qu’ils soient observés après une primo-infection ou après une vaccination. De nombreux exemples existent : dengue, bronchiolite du nourrisson, rougeole, infections à virus Zika, Ebola, VIH, péritonite infectieuse féline, SRAS, MERS, etc. Qu’avons-nous appris de ces infections virales ? Quels sont les mécanismes de l’ADE ? Quels sont les facteurs qui la favorisent ?

La publication récente d’un article en preprint mettant en évidence, in vitro, l’existence d’anticorps facilitants dans la COVID-19, en particulier dans le sérum de patients atteints de formes graves, oblige à se pencher sur cette question complexe. Quels éléments de stratégie vaccinale pourraient réduire le risque de forme aggravée chez les personnes insuffisamment protégées par la vaccination ?
Stéphane Korsia-Meffre 03 novembre 2020 Image d'une montre19 minutes icon 6 commentaires
1
2
3
4
5
4,0
(173 notes)
Publicité
Quel risque de formes sévères de COVID-19 après une vaccination contre cette infection à coronavirus ? (illustration).

Quel risque de formes sévères de COVID-19 après une vaccination contre cette infection à coronavirus ? (illustration).

Edit du 10 janvier 2022 : Après un an d'administration des vaccins contre la COVID-19 (vaccins à ARNm ou à adénovirus), sur plus de 4 milliards de personnes à travers le monde, aucun événement de maladie aggravée associée à la vaccination n'a été observé parmi les personnes infectées malgré la vaccination. Au contraire, lors d'infection perthérapeutique ("breakthrough infections", malgré le vaccin), la masse des données pointent vers une réduction de la sévérité des symptômes chez les personnes vaccinées.

Depuis le début de la pandémie COVID-19 et les premières évocations de possibles vaccins, deux mots sont fréquemment revenus sur les lèvres des vaccinologues : « anticorps facilitants ». Ceci fait référence à la présence, après une primo-infection ou une vaccination, d'anticorps capables d'aggraver une éventuelle (ré)infection. Ce phénomène a été décrit pour diverses infections virales, dont le SRAS après des essais de vaccination dans des modèles animaux. Cependant, sous l'appellation un peu fourre-tout d'anticorps facilitants, se cachent en fait au moins deux réalités biologiques distinctes.

L'aggravation dépendante des anticorps, un concept aux multiples facettes
L'aggravation dépendante des anticorps (ADEantibody-dependent enhancement) est un large concept qui survient en lien avec certaines infections virales, lors de réinfection ou de primo-infection, en dépit d'une vaccination. Elle peut être divisée en deux entités distinctes selon sa cause. Ainsi, on distingue :
- la « maladie aggravée associée à l'infection (initiale) » (IAED, infection-associated enhanced disease) ;
 - et la « maladie aggravée associée à la vaccination » (VAED, vaccine-associated enhanced disease).
Pour brouiller un peu ce paysage, cette aggravation, et en particulier la VAED qui nous intéresse plus particulièrement ici, peut être due à deux mécanismes distincts :
  • soit une ADE stricto sensu où des complexes antigènes-anticorps facilitants se fixent sur les récepteurs FcgammaRII (CD32) de la membrane de cellules immunitaires (essentiellement des monocytes, des macrophages et des cellules dendritiques, parfois des lymphocytes B), ce qui favorise leur infection par le virus en cause ;
  • soit des troubles de l'immunité cellulaire, avec infiltration de certains organes (poumon, foie, par exemple) par des lymphocytes, des monocytes et, surtout, des éosinophiles en grand nombre. Dans le contexte de la VAED, les immunologistes ont, pendant des années, associé ces troubles à une réponse vaccinale de type Th2 (IL-4, de type allergique), mais des travaux plus récents semblent pointer vers une réponse de type Th17 (IL-6, IL-17, plus proche des réactions auto-immunes).
Parfois, la maladie aggravée est due à une ADE particulière, qui met en jeu le complément, observée, par exemple, dans l'infection par le VIH ou celle due au virus West Nile.

Les facteurs qui favorisent l'ADE
Les anticorps dits facilitants peuvent être des IgM ou des IgG. Curieusement, ces anticorps ne sont pas forcément particuliers : le même anticorps neutralisant, fortement protecteur à haute concentration dans le sérum, peut devenir facilitant à faible concentration !
Ainsi, le plus souvent, l'ADE survient lorsque la personne présente des taux circulants d'anticorps neutralisants faibles (vaccination insuffisante ou ancienne, personnes âgées, infection peu symptomatique) ou une faible spécificité de ces anticorps, par exemple lors d'immunité croisée entre deux infections virales.
À l'inverse, en présence de taux circulants élevés d'anticorps fortement spécifiques, il n'est pas observé d'ADE (comme cela a été démontré pour la dengue). Ces observations sont à garder à l'esprit pour estimer le risque d'ADE après une vaccination.
Du fait de cette versatilité de l'effet des anticorps selon leur concentration, dans les travaux de mise en évidence d'ADE in vitro (qui sont bien plus nombreux que ceux menés in vivo), la question se pose systématiquement de la concentration du sérum utilisé, les anticorps protecteurs pouvant devenir facilitants sous l'effet de leur dilution. Ainsi, en règle générale, mieux vaut rester prudent avant de tirer des conclusions à partir de la mise en évidence d'ADE in vitro.
Dans le contexte des vaccins contre le SRAS étudiés en modèle animal, certaines études ont semblé indiquer que la réaction immunitaire vis-à-vis de la protéine N (nucléoprotéine) du virus était plus encline à provoquer l'apparition d'anticorps facilitants que celle vis-à-vis de sa protéine S (spike). Néanmoins, ceux-ci sont parfois apparus à la suite de l'administration de vaccins utilisant la protéine S entière comme épitope immunogène. Il est intéressant de remarquer que cela ne semble pas être le cas lorsque seul le RBD (receptor-binding domain de la protéine S) est utilisé comme épitope.
Enfin, il est important de rappeler que l'ADE ne s'observe qu'avec certains virus. Elle n'a jamais été mise en évidence dans la grippe saisonnière (ni IAED, ni VAED), ni après les infections dues au virus para-influenza ou aux rotavirus, ni après la vaccination contre la poliomyélite. De plus, contrairement à une idée autrefois répandue, la VAED n'est pas l'apanage des vaccins de type inactivé.

L'ADE n'est pas toujours délétère
Parfois, une réaction de type ADE peut se révéler bénéfique en améliorant la réponse vaccinale contre un virus de la même famille. Par exemple, les sujets vaccinés contre l'encéphalite japonaise répondent plus fortement à un vaccin vivant inactivé contre la fièvre jaune (tout deux des flavivirus) : les anticorps croisés issus de la première vaccination facilitent la pénétration du virus inactivé de la fièvre jaune dans les cellules cibles.
De la même manière, la meilleure immunité obtenue par le vaccin contre la dengue chez les personnes séropositives pour cette maladie pourrait être liée à un phénomène de type ADE.

Quelles sont les infections virales qui donnent parfois lieu à des réinfections plus sévères (IAED) ?
L'exemple le mieux décrit d'aggravation associée à l'infection initiale (IAED) concerne la dengue. Cette maladie est due à un flavivirus présentant 4 sérotypes. Lors de réinfection par un sérotype différent de celui à l'origine de la primo-infection, certaines personnes développent une forme sévère hémorragique. Néanmoins, cela reste un phénomène rare (environ 0,5 % des réinfections). In vitro, une ADE stricto sensu (impliquant les récepteurs FcgammaRII de cellules immunitaires) a été observée à partir de sérum issu de personnes présentant une dengue aggravée.
Cette réinfection aggravée de la dengue semble liée à la présence d'anticorps peu spécifiques (correspondant au sérotype de l'infection initiale) et en quantité insuffisante. En effet, quels que soient les sérotypes impliqués, des taux élevés d'anticorps neutralisants contre un sérotype semblent protéger de l'IAED après l'infection par un autre sérotype.
Autre exemple d'IAED, la péritonite infectieuse féline (PIF), due à un coronavirus qui pourrait avoir émergé chez le chat au milieu du XXe siècle. Dans cette espèce, l'administration de sérum de chats fortement séropositifs pour la PIF à des chatons séronégatifs provoque une augmentation de la sévérité de la maladie lorsque ces derniers sont inoculés, ce qui semble indiquer la présence d'anticorps facilitants chez les chats séropositifs.
In vitro, un effet de type ADE a été observé à partir de sérums de patients convalescents d'autres infections par des virus comme Ebola ou Zika. Mais ces données sont difficiles à étendre à la clinique, en l'absence d'IAED observée in vivo.
Parfois, il est possible d'observer des IAED « croisées » entre deux viroses. Par exemple, chez la souris, les anticorps contre le virus Zika transmis par la mère aggravent la dengue inoculée expérimentalement.

L'IAED dans le contexte du SRAS et du MERS
Il existe peu de données cliniques sur une éventuelle IAED dans le contexte du SRAS ou du MERS et aucune sur les coronavirus responsables de rhumes sauf sur 229E, sans évidence d'aggravation lors d'une réinfection expérimentale. Les nombreux travaux publiés sur le sujet sont des études in vitro.
Dans le contexte du SRAS, les seuls signes d'IAED in vivo ont été signalés chez des singes verts expérimentalement infectés par deux fois. Par ailleurs, in vitro, l'exposition de macrophages à du sérum de patients décédés du SRAS stimule l'apparition de profils cytokiniques similaires à ceux observés chez des macaques vaccinés contre le SRAS qui avaient développé des lésions pulmonaires fatales suite à un challenge viral post-vaccinal (voir ci-dessous). Cette réaction des macrophages était supprimée en bloquant les récepteurs FcgammaRII, ce qui semble signer une ADE.
De plus, une étude a montré que, in vitro, le sérum de patients atteints de SRAS bloque l'infection de cellules cibles par SARS-CoV à haute concentration, mais la facilite à faible concentration.
Dans le contexte du MERS, une étude a mis en évidence une IAED chez le lapin infecté par deux fois, ainsi que des phénomènes d'ADE in vitro.

L'ADE dans le contexte de la COVID-19
Dans le contexte de la COVID-19, il n'existe pas de preuves d'IAED clinique sérologiquement confirmée à ce jour. Un seul cas de réinfection plus sévère que la primo-infection a été signalé dans la littérature scientifique (d'autres ont été signalés dans la presse grand public sans confirmation scientifique). Malheureusement, le sérum de ce patient n'a pas été évalué pour son éventuel effet facilitant.
In vitro, une étude publiée en preprint récemment a, pour la première fois, suggéré l'existence d'anticorps facilitants, en particulier chez les personnes ayant souffert de formes sévères de COVID-19. Dans ce travail, le sérum de ces personnes a facilité la pénétration de SARS-CoV-2 dans des lymphocytes B exprimant le récepteur FcgammaRII (cellules Raji, K562 et lymphocytes B naturels). Des anticorps facilitants ont été identifiés dans les sérums de 8 % des patients atteints de formes modérées (N=205) et 76 % des malades ayant exprimé une forme grave (N=17). Un anticorps contre le RBD de la protéine S a été isolé, qui semblait particulièrement facilitant sur les cellules Raji (ce qui contredit l'idée selon laquelle cet épitope serait moins enclin à engendrer une ADE, voir ci-dessus).
Une autre étude a montré que, in vitro, l'exposition de macrophages au sérum de patients convalescents après une COVID-19 entraînait l'apparition de profils cytokiniques inflammatoires exagérés.

Quels sont les exemples de VAED hors infections à coronavirus (CoV) ?
Dans le contexte du développement de vaccins contre la COVID-19, la forme d'ADE la plus pertinente est bien sûr celle qui peut survenir à l'issue d'une vaccination (VAED).
Hors CoV, plusieurs exemples de VAED ont été décrits :
  • lors de vaccination contre la bronchiolite du nourrisson (VRS, vaccin inactivé), dans les années 1960, des nourrissons âgés de 6 à 11 mois vaccinés ont présenté des formes sévères (dont deux décès). Passé l'âge de 2 ans, cette VAED disparaissait. À ce jour, il n'est cependant pas certain que cette VAED soit due à une ADE stricto sensu. En effet, l'histologie pulmonaire indiquait plutôt une inflammation alvéolaire exacerbée avec accumulation de complexes antigènes-anticorps et de complément. Il pourrait plutôt s'agir d'une réaction de type Th2 amplifiée par l'infection post-vaccinale, ou de type Th17.
  • lors de vaccination contre la rougeole (vaccin inactivé), des enfants vaccinés ont développé des formes aggravées avec fièvre élevée, rash et pneumonie.
  • la vaccination contre la dengue d'enfants âgés de 2 à 8 ans, séronégatifs pour cette maladie, s'est traduite par des formes aggravées 3 ans après la vaccination, dont une quinzaine de décès. L'hypothèse est que leur immunité humorale résiduelle n'était ni suffisante (pas de cas de VAED les 2 premières années après la vaccination), ni suffisamment spécifique (sérotypes différents), augmentant ainsi le risque d'ADE. Mais cela n'est pas une certitude en l'absence de critères objectifs permettant de différencier une éventuelle VAED d'un échec vaccinal. Néanmoins, cette vaccination est désormais réservée aux enfants de plus de 9 ans, souvent séropositifs en zone endémique. 
Point important, comme pour les expériences in vitro, ces mises en évidence de VAED dans des modèles animaux souffrent du fait que les challenges viraux post-vaccination sont faits avec des inoculats d'une taille très supérieure à celle de l'infection naturelle. Ce challenge massif empêche donc d'extrapoler à l'homme les données obtenues sur les animaux.

Quelles évidences de VAED dans les infections à coronavirus ?
Dans le contexte de la péritonite infectieuse féline, la vaccination de chatons (avec un vaccin recombinant codant la protéine S dans le génome du virus de la vaccine) a provoqué l'apparition de faibles taux sanguins d'anticorps neutralisants. Lors de challenge viral, les chatons vaccinés sont morts plus rapidement que des chatons ayant reçu le virus de la vaccine non modifié. Les mécanismes de cette VAED ne font pas consensus.
Dans le contexte des essais vaccinaux contre le SRAS (SARS-CoV), une VAED a été observée dans 9 études animales :
Chez le hamster doré, un vaccin recombinant codant pour la protéine S a toutefois assuré une protection efficace malgré la capacité du sérum à faciliter l'infection de lymphocytes B par le SARS-CoV (via les récepteurs FcgammaRII). Cette dernière étude montre à quel point les observations d'ADE in vitro sont difficiles à extrapoler dans le contexte clinique.
Dans le cadre des essais vaccinaux contre le MERS (MERS-CoV), une VAED a été observée chez des souris (vaccin entier inactivé).
Ces observations dans les essais vaccinaux relatifs au SRAS et au MERS sont à l'origine des inquiétudes des immunologistes vis-à-vis de la sécurité des futurs vaccins contre la COVID-19.

Quelles conséquences pour le développement d'un vaccin contre la COVID-19 ?
Les données disponibles sur la présence d'ADE dans diverses infections virales, associées à celles issues de la recherche sur le SRAS et le MERS, mettent en valeur plusieurs éléments importants pour définir une stratégie vaccinale COVID-19 qui réduise à son minimum le risque de maladie aggravée post-vaccination.

1 – Éviter la survenue de concentrations suboptimales d'anticorps neutralisants
Parce qu'il semble que le risque d'ADE soit en lien direct avec la quantité et l'affinité des anticorps circulants (plutôt que le fait d'anticorps inhabituels ou non neutralisants), il est indispensable que la vaccination aboutisse à des taux élevés d'anticorps fortement neutralisants, de manière durable, en particulier chez les personnes âgées souvent moins aptes à réagir à un vaccin par des taux circulants importants. Le cas échéant, pour ces personnes ou en cas d'immunité humorale peu durable, un calendrier de rappels vaccinaux rapprochés doit être identifié pour aboutir à (et maintenir) ces taux.

2 – Orienter la réponse vaccinale vers un type Th1 plutôt que Th2 ou Th17
Après une vaccination, les phénomènes d'ADE semblent relever d'une réaction immunitaire de type Th17 et, peut-être, Th2. Il semble donc prudent de veiller à orienter cette réaction vers un profil Th1 (IL-12, contre les pathogènes intracellulaires). Pour cela, le choix d'un adjuvant est essentiel. Certains adjuvants sont en effet connus pour orienter vers une réponse Th1, d'autres plutôt vers une réponse de type Th2.
Il est intéressant de noter que la plupart des vaccins actuellement en phase III n'utilisent pas d'adjuvants, comme souvent pour les vaccins à ARN ou vectorisés. Les vaccins à ARN sont connus comme induisant spontanément une réponse cellulaire de type Th1.

3 – Favoriser le développement d'une immunité cellulaire spécifique
Diverses études ont suggéré que l'immunité cellulaire spécifique obtenue après vaccination pourrait jouer un rôle dans le contrôle des phénomènes d'ADE. Par exemple, dans un modèle de dengue chez des souris immunodéficientes, la sévérité de l'ADE a été considérablement réduite par la présence de lymphocytes spécifiques.
De nouveau, le choix judicieux d'un adjuvant pourrait contribuer à renforcer la réponse cellulaire au vaccin. Par exemple, dans le contexte de la grippe saisonnière, les vaccins utilisant des émulsions à base de squalène ont montré leur capacité à augmenter la fréquence et la réactivité croisée de la réponse cellulaire CD4, y compris en présence d'immunité croisée préexistante. Des résultats similaires ont été obtenus dans le contexte de la vaccination contre le paludisme ou l'hépatite B.

4 – Étudier l'effet des immunités croisées dirigées contre les coronavirus des rhumes
Parce que la présence d'anticorps de faible affinité peut représenter un risque de développer une ADE, il serait préférable que les essais vaccinaux en cours contre la COVID-19 explorent l'influence de l'immunité croisée contre les coronavirus des rhumes dans la réponse vaccinale et dans l'éventuelle apparition d'ADE. À notre connaissance, aucun des études de phase III en cours n'a envisagé cette possibilité.

5 – Mettre en place des mesures de surveillance efficaces pendant les essais de phase III et en post-commercialisation
Au vu des données sur les essais vaccinaux autour du SRAS, il est indispensable de mettre en place une surveillance d'une éventuelle ADE dans les essais vaccinaux de la COVID-19.
Avec un taux de protection minimal des vaccins contre la COVID-19 fixé à 50 % par les autorités de régulation, le nombre de personnes vaccinées présentant des taux suboptimaux d'anticorps neutralisants risque d'être élevé. En cas de forte circulation du SARS-CoV-2, il est donc probable que nombre d'entre elles soient contaminées après avoir été vaccinées, les exposant ainsi, théoriquement, au risque d'une VAED.
Avec cette crainte, la FDA (Food and Drug Administration) a explicitement indiqué qu'elle prendrait en compte ce risque lors de l'évaluation des vaccins candidats. En l'occurrence, elle exige la présence d'au moins 5 cas de formes sévères de COVID-19 dans le groupe témoin pour permettre une évaluation du risque de VAED dans le groupe vacciné.
Mais cette surveillance risque d'être rendue complexe par plusieurs facteurs :
  • la faible fréquence des phénomènes de VAED en général ;
  • le délai considérable habituellement constaté entre la vaccination et la VAED (au moins 2 ans pour la dengue, par exemple) ;
  • la difficile distinction entre les symptômes de la VAED et ceux d'une forme grave « classique » de la maladie, ce qui nuit à la distinction entre échec vaccinal et VAED (comme cela a été le cas avec la dengue). De plus, l'absence de marqueurs caractéristiques de la VAED complique cette distinction (en particulier le fait que les anticorps facilitants puissent être des anticorps neutralisants en trop faible quantité).
  • l'absence de mécanismes communs à tous les exemples d'IAED et de VAED ;
  • la faiblesse des modèles in vitro et animaux pour prédire ce qui peut se passer chez l'homme. Néanmoins, la FDA a exigé la poursuite d'études à long terme sur modèles animaux pour les vaccins en cours d'évaluation.

En conclusion, si le risque de maladie aggravée associée à la vaccination (VAED) existe bel et bien dans la COVID-19 (comme en témoignent les travaux sur les vaccins contre le SRAS et la PIF, par exemple), ce risque a été pris en compte par les agences de régulation et intégré dans les prérequis à une commercialisation.
Néanmoins, les mesures de surveillance qui seront mises en place se heurteront à la difficulté de caractériser la VAED de manière objective et le manque de marqueurs spécifiques (en lien avec la multiplicité des mécanismes et le manque de connaissances fines à leur sujet).
Si les vaccins en évaluation contre la COVID-19 se révèlent efficaces, la prévention de la VAED reposera, non seulement sur un suivi attentif après commercialisation, mais également sur des mesures visant à s'assurer que les taux d'anticorps neutralisants obtenus restent suffisamment élevés chez toutes les personnes vaccinées, en particulier les sujets âgés, ce qui peut nécessiter un calendrier de rappels fréquents.
Si, comme cela est probable, l'infection à SARS-CoV-2 devient endémique, cette précaution sera essentielle à respecter, sauf à voir apparaître des bouffées épidémiques de formes sévères chez des personnes vaccinées, mal protégées par leur immunité humorale et cellulaire.

NB : Le problème de l'ADE se pose également pour les traitements expérimentaux de la COVID-19 à base de sérum de patients convalescents, voire d'anticorps monoclonaux. Nous traiterons cet aspect dans un futur article sur ce type de traitements expérimentaux.

Merci à Mohamed Ouizougun-Oubari, virologiste travaillant sur les nucléoprotéines, pour sa relecture attentive.

©vidal.fr


Pour aller plus loin

Des articles généraux sur le développement des vaccins contre la COVID-19
- Hotez PJ & Bottazzi ME. Developing a low-cost and accessible COVID-19 vaccine for global health. PLoS Negl Trop Dis 14(7), juillet 2020.

- Hotez PJ, Corry DB & Bottazzi ME. COVID-19 vaccine design: the Janus face of immune enhancement. Nature Review Immunology volume 20 June 2020 p.347.

Des articles sur les conditions de la sécurité des vaccins COVID-19
- Haynes BF, Corey L, Fernandes P, et al. Prospects for a safe COVID-19 vaccine. Science Translational Medicine, 19 octobre 2020.

- Lambert PH, Ambrosino DM, Andersen SR, et al. Consensus summary report for CEPI/BC March 12–13, 2020 meeting: Assessment of risk of disease enhancement with COVID-19 vaccines. Vaccine. 25 mai 2020.

- Jeyanathan M, Afkhami S, Smaill F, et al. Immunological considerations for COVID-19 vaccine strategies. Nature Review Immunology volume 20 October 2020 p.615.

- Eroshenko N, Gill T, Keaveney MK, et al. Implications of antibody dependent enhancement of infection for SARS-CoV-2 countermeasures. Nat. Biotechnol. 38, 789–791 (2020).

- Diamond, MS et Pierson, TC. The challenges of vaccine development against a new virus during a pandemic. Cell Host Microbe 27, 699–703 (2020).

Un article de fond sur la réponse Th1
- Zhang Y, Zhang Y, GU W et Sun B. Th1/Th2 cell's function in immune system. Adv Exp Med Biol 2014;841:45-65.

Un article de fond sur la réponse Th2
- Boniface S, Magnan A et Vervloet D. Th2. La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no1 - janv.-févr. 2001.

Un article de fond sur la réponse Th17
- Cambier L, Defaweux V, Baldo A, et al. Rôle des cellules Th17 dans les maladies infectieuses et auto-immunes. Ann. Méd. Vét., 2010, 154, 104-112.

Un article sur le rôle positif de l'ADE
- Chan KR, Wang X, Saron WWA, et al. Cross-reactive antibodies enhance live attenuated virus infection for increased immunogenicity, Nat. Microbiol. 2016; 1(12): 16164.

Un article sur l'IAED dans l'infection par le virus Zika
- Bardina SV, Bunduc P, Tripathi S, et al. Enhancement of Zika virus pathogenesis by preexisting antiflavivirus immunity. Science; 356(6334): 175–180 14 avril 2017.

Un article sur l'IAED dans la fièvre Ebola
- Kuzmina NA, Younan P, Gilchuk P, et al. Antibody-dependent enhancement of Ebola virus infection by human antibodies isolated from survivors. Cell Rep. 2018 Aug 14; 24(7): 1802-1815.

Les articles sur l'IAED médiée par le complément dans le VIH et Zika
- Fust G, Toth FD, KissJ, et al. Neutralizing and enhancing antibodies measured in complement-restored serum samples from HIV-1 infected individuals correlate with immunosuppression and disease, AIDS 8 (5) (1994) 603–609.

- Cardosa MJ, Porterfield JS & Gordon S. Complement receptor mediates enhanced flavivirus replication in macrophages, J. Exp. Med. 158 (1) (1983).

Sur les réinfections expérimentales avec 229E
- Callow KA, Parry HF, Sergeant M, Tyrrell DA. The time course of the immune response to experimental coronavirus infection of man. Epidemiol Infect. 1990 Oct;105(2):435-446.

Les articles historiques sur la VAED dans la bronchiolite infectieuse et la rougeole
- Rauh LW & Schmidt R. Measles immunization with killed virus vaccine: Serum antibody titers and experience with exposure to measles epidemic. Am. J. Dis. Child. 109, 232–237 (1965).

- Kim HW, Canchola JG, Brandt CD, et al. Respiratory syncytial virus disease in infants despite prior administration of antigenic inactivated vaccine. Am. J. Epidemiol. 89, 422–434 (1969).

Des articles sur l'IAED et la VAED dans la dengue
- Katzelnick LC, Gresh L, Halloran ME, et al. Antibody-dependent enhancement of severe dengue disease in humans. Science 358, 929–932 (2017)

- Thomas SJ et Yoon IK. A review of Dengvaxia: Development to deployment. Hum. Vaccin. Immunother. 15, 2295–2314 (2019).

- Fowler AM, Tang WW, Young MP, et al. Maternally Acquired Zika Antibodies Enhance Dengue Disease Severity in Mice. Cell Host Microbe. 2018 Nov 14;24(5):743-750.

L'étude sur la VAED dans la PIF
- Vennema H, De Groot RJ, Harbour DA, et al. Early Death after Feline Infectious Peritonitis Virus Challenge due to Recombinant Vaccinia Virus Immunization. J. Virol. Mars 1990, p. 1407-1409

Deux articles comparant la dengue et la PIF
- Cloutier M, Nandia M, Ihsana AU, et al. ADE and hyperinflammation in SARS-CoV2 infection- comparison with dengue hemorrhagic fever and feline infectious peritonitis. Cytokine. 2020 Dec; 136: 155256.

- Weiss RC et Scott FS. Antibody-mediated enhancement of disease in feline infectious peritonitis: comparisons with dengue hemorrhagic fever. Comp. lmmun. Microbiol. Infect. Dis. Vol. 4. No. 2, pp. 175-189, 1981.

Des articles sur l'IAED et la VAED dans le SRAS
- Clay C, Donart N, Fomukong N, et al. Primary severe acute respiratory syndrome coronavirus infection limits replication but not lung inflammation upon homologous rechallenge. J. Virol. 86, 4234–4244 (2012).

- Liu L, Wei Q, Lin Q, et al. Anti-spike IgG causes severe acute lung injury by skewing macrophage responses during acute SARS-CoV infection. JCI Insight 4, e123158 (2019)

- Weingartl H, Czub M, Czub S., et al. Immunization with modified vaccinia virus Ankara-based recombinant vaccine against severe acute respiratory syndrome is associated with enhanced hepatitis in ferrets. J. Virol. 78, 12672–12676 (2004).

- Kam YW, Kien F, Roberts A, et al. Antibodies against trimeric S glycoprotein protect hamsters against SARS- CoV challenge despite their capacity to mediate FcgammaRII dependent entry into B cells in vitro. Vaccine 25, 729–740 (2007).

- Wang Q, Zhang L, Kuwahara K, et al. Immunodominant SARS Coronavirus Epitopes in Humans Elicited both Enhancing and Neutralizing Effects on Infection in Non-human Primates. ACS Infect Dis 2016;2(5):361–76.

- Wang Q, Zhang L, Kuwahara K, et al. Immunodominant SARS coronavirus epitopes in humans elicited both enhancing and neutralizing effects on infection in non-human primates, ACS Infect. Dis. 6 (5) (2020):1284–1285.

- Liu L, Wei Q, Lin Q, et al. Anti-spike IgG causes severe acute lung injury by skewing macrophage responses during acute SARS-CoV infection. JCI Insight 4, e123158 (2019).

- Tseng CT, Sbrana E, Iwata-Yoshikawa N, et al. Immunization with SARS Coronavirus Vaccines Leads to Pulmonary Immunopathology on Challenge with the SARS Virus. PLoS One. 2012; 7(4): e35421.

- Deming D, Sheahan T, Heise M, et al. Vaccine Efficacy in Senescent Mice Challenged with Recombinant SARS-CoV Bearing Epidemic and Zoonotic Spike Variants. PLoS Med. 2006 Dec; 3(12): e525.

- Wang SF, Tseng SP, Yen CH,et al. Antibody-dependent SARS coronavirus infection is mediated by antibodies against spike proteins. Biochem Biophys Res Commun. 2014 Aug 22; 451(2): 208–214.

Des articles sur l'IAED et la VAED dans le MERS
- Houser KV, Broadbent AJ, Gretebeck L, et al. Enhanced inflammation in New Zealand white rabbits when MERS-CoV reinfection occurs in the absence of neutralizing antibody. PLOS Pathog. 13, e1006565 (2017).

- Agrawal AS, Tao X, Algaissi A., et al. Immunization with inactivated Middle East Respiratory Syndrome coronavirus vaccine leads to lung immunopathology on challenge with live virus. Hum. Vaccin. Immunother. 12, 2351–2356 (2016).

Les études évoquant une ADE in vitro dans la COVID-19
- Wu F, Yan R, Liu M, et al. Antibody-dependent enhancement (ADE) of SARS-CoV-2 infection in recovered COVID-19 patients: studies based on cellular and structural biology analysis. medRxiv, 13 octobre 2020.

- Wan Y, Shang J, Sun S, et al. Molecular Mechanism for Antibody-Dependent Enhancement of Coronavirus Entry. J. Virol. Volume 94 Issue 5 March 2020.

Le cas de réinfection plus sévère dans la COVID-19
- Tillett RL, Sevinsky JR, Hartley PD, et al. Genomic evidence for reinfection with SARS-CoV-2: a case study. The Lancet Infect Dis, 12 octobre 2020.

Sur la plus faible réaction aux vaccins dans certaines populations
- Doherty M, Schmidt-Ott R, Santos JI, et al. Vaccination of special populations: Protecting the vulnerable. Vaccine 2016 Dec 20;34(52):6681-6690.

Les recommandations de la FDA sur le développement d'un vaccin contre la COVID-19
Development and Licensure of Vaccines to Prevent COVID-19 - Guidance for Industry, Octobre 2020.
Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Les plus récents
Les plus récents Les plus suivis Les mieux votés
MACROLEON Il y a 2 ans 1 commentaire associé

Vous indiquez dans l'edit du 4/01/2022 qu'aucun événement de maladie aggravée associée à la vaccination n'a été observé parmi les personnes infectées malgré la vaccination et que la masse des données pointent vers une réduction de la sévérité des symptômes chez les personnes vaccinées. Pourtant, si j'en crois les données publiées par Johns Hopkins, les pays les plus vaccinés sont ceux où le nombre de décès (malheureusement pas de données sur les cas sévères et graves) est le plus élevé. En outre ce nombre de décès semble, depuis que la vaccination a débuté, plus corrélés aux nombres de vaccinations ayant eu lieu les jours précédents qu'au nombre de cas positifs enregistrés. Pourriez-vous préciser comment se fait l'observation d'un cas de VADE dans la pratique, que ce soit cliniquement ou statistiquement ?

Modérateur Médecine générale Il y a 2 ans 0 commentaire associé

Bonjour

Le nombre de décès est surtout corrélé à l'âge moyen de la population, souvent plus élevé dans les pays riches qui sont aussi ceux qui vaccinent le plus. Mais plus que tout, il faut se garder d'interpréter les corrélations, ce qui conduit trop souvent à croire à tort en des causalités inexistantes.

Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Presse - CGU - Données personnelles - Politique cookies - Mentions légales - Contact webmaster