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Grossesse : les antidépresseurs augmentent-ils vraiment le risque d'autisme ?

Les résultats d’une vaste étude de cohorte, conduite chez près de 150 000 enfants, montrent que l’utilisation d’antidépresseurs (AD) pendant le 2e et/ou le 3e trimestre de la grossesse est associée à une augmentation du risque de troubles du spectre de l’autisme (TSA) chez l’enfant.

Cette étude, publiée sur internet dans le JAMA Pediatrics du 14 décembre dernier, est la première à avoir pris en compte les trimestres d’exposition in utero et la classe d'AD utilisée, tout en considérant le profil psychiatrique de la mère et ses comorbidités telles qu’un diabète ou une HTA.

Pour autant, l’observation de cette relation ne démontre pas que
les enfants exposés in utero aux antidépresseurs présentent un sur-risque de TSA.
Nombre d’autres facteurs sont en effet susceptibles de jouer un rôle dans la survenue de ces troubles
.

Les résultats de cette vaste étude devraient contribuer à faire avancer la recherche sur les causes des TSA, dont la physiopathologie n’est pas encore élucidée.
 
17 décembre 2015 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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La fréquence des épisodes dépressifs majeurs pendant la grossesse est estimée à 13 % (illustration).

La fréquence des épisodes dépressifs majeurs pendant la grossesse est estimée à 13 % (illustration).


Grossesse, antidépresseurs et autisme : un risque déjà suggéré mais controversé
Déjà suggérée par plusieurs études (Rai D and al. BMJ 2013, Gidaya NB and al. J Autism Dev Disord 2014) mais controversée (Sorensen MJ and al. Clin Epidemiol 2013Hviid A and al. N Engl J Med 2013), l'augmentation du risque des troubles du spectre de l'autisme (TSA : voir Encadré 1) associée à l'utilisation  d'antidépresseurs (AD) pendant la grossesse a fait l'objet d'une vaste étude de cohorte conduite chez 146 456 enfants suivis pendant 10 ans (JAMA Pediatrics 2015).
 
Encadré 1 – Troubles du spectre de l'autisme (TSA) : définition
Connu sous l'appellation générale de troubles envahissants du développement (TED), dont il fait partie, l'autisme est devenu, avec le DSM-5, une catégorie unique que l'on appelle troubles du spectre de l'autisme (TSA).
Outre l'autisme, les TSA comportent notamment  :
Le TSA regroupe ainsi un ensemble de troubles neurodéveloppementaux complexes caractérisés, à différents niveaux de sévérité, par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d'intérêts et d'activités restreint, stéréotypé et répétitif. Ces anomalies qualitatives constituent une caractéristique envahissante du fonctionnement du sujet, en toutes situations.


Cette étude s'inscrit dans le cadre des priorités de santé publique définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) selon lesquelles la dépression serait en passe de devenir la 2e cause de décès d'ici 2020 (Murray CL and al. Harvard School of Public Health 1996) et, à ce titre, l'utilisation des antidépresseurs pourrait rester importante, y compris pendant la grossesse.

La prévalence des traitements antidépresseurs chez les femmes enceintes a ainsi augmenté de 5,7 % en 1999 à 13,3 % en 2003 aux Etats-Unis (Cooper WO and al. Am J Obstet Gynecol 2007) et, 4,5% des femmes déclaraient utiliser des AD au Canada de 2001 à 2006 (Daw JR and al. Clin Ther 2012).

Dans ce contexte, les résultats de cette étude pourraient contribuer à une meilleure compréhension des effets à long terme sur le développement neurologique des enfants nés de femmes traitées par antidépresseurs pendant leur grossesse.

145 456 enfants suivis de leur naissance jusqu'à l'âge de 10 ans
L'originalité de ce travail, mené par une équipe de l'Université de Montréal, consiste à avoir étudié pour la première fois l'association entre l'utilisation d'AD chez les femmes enceintes et le risque de TSA chez les enfants, en fonction des trimestres d'exposition et de la classe des antidépresseurs utilisée, tout en prenant en compte le profil psychiatrique de la mère et ses comorbidités telles qu'un diabète ou une HTA.

La cohorte étudiée (Québec Pregnancy/Children Cohort) se composait de 145 456 enfants, suivis de leur conception jusqu'à l'âge de 10 ans, dont les mères (186 165 femmes) avaient été recrutées de manière prospectives entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2009.

Les données recueillies concernaient :
  • la période d'exposition aux antidépresseurs : année précédant la grossesse, 1er, 2e et/ou 3e trimestre de grossesse ;
  • les classes d'antidépresseurs utilisées (voir Reco VIDAL "Dépression" - Rubrique traitements) : inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), tricycliques, inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO), inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) et « autres » antidépresseurs (bupropion, amoxapine, maprotiline, mirtazipine, trazodone, nefazodone non commercialisée en France) ;
  • le nombre de classes d'AD utilisées par les femmes enceintes : une seule classe ou deux classes ou plus.

La population de référence pour toutes les analyses était celle des enfants qui n'avaient pas été exposés aux antidépresseurs in utero.

Le diagnostic de TSA était posé chez les enfants qui présentaient un autisme, un autisme atypique, un syndrome d'Asperger, un trouble envahissant du développement non spécifié, tels que définis dans la classification internationale des maladies (DCI-9 ou DCI-10).

Les enfants étaient suivis de manière continue de leur naissance jusqu'à la survenue de l'un de ces événements, de leur décès ou de la fin de l'étude (31 décembre 2009).

D'autres facteurs de risque étaient surveillés
Quatre catégories de facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la survenue de l'autisme étaient par ailleurs recueillies auprès des femmes enceintes, incluant :
  • leurs caractéristiques sociodémographiques : âge de la conception (< 18 ans, 18-24 ans, 25-34 ans, >= 35 ans), statut marital (vie seule ou pas) et durée de scolarisation (>= 12 ans ou <) ;
  • leur profil psychiatrique : dépression, anxiété, trouble bipolaire ou autres troubles ;
  • leurs comorbidités (pathologies chroniques) : diabète de type 2, diabète gestationnel, HTA chronique ou gestationnelle ;
  • les caractéristiques de leur enfant : sexe et année de naissance.
La Québec Pregnancy/Children Cohort (QPC) ne contenait pas d'informations sur le mode de vie des mères comme le tabagisme ou sur l'indice de masse corporelle qui pourraient influer sur le développement neurologique, bien que  leur association au risque de TSA soit débattue.

Une prévalence de TSA conforme à celle des 15 dernières années
Au sein de cette cohorte d'enfants uniques nés à terme (n = 145 456), 1 054 ont eu un diagnostic de TSA, soit une prévalence de 0,72 %, toutes naissances confondues (Figure 1).
Ce résultat est conforme à ceux publiés au cours des 15 dernières années, qui font état d'une prévalence de 60 à 110 pour 10 000 approximativement (Chakrabarti S and al. JAMA 2001).

L'âge moyen du diagnostic de TSA était de 4,6 ans (moyenne : 4,0 ans) et l'âge moyen au terme du suivi, de 6,2 ans (moyenne : 7,0 ans).

Les garçons étaient plus fréquemment atteints selon un ratio de 4:1.

Les mères sous antidépresseurs pendant leur grossesse présentaient de manière plus fréquente des troubles psychiatriques (schizophrénie, troubles dissociatifs et de conversion, troubles phobiques, troubles obsessionnels compulsifs, troubles de l'humeur, neurasthénie, addictions, etc.) ainsi que d'autres pathologies chroniques (diabète, HTA).

Elles étaient par ailleurs plus âgées au premier jour de la gestation et plus enclines à avoir déjà un enfant atteint de TSA par rapport femmes enceintes qui n'étaient pas traitées par cette classe thérapeutique.

Un diagnostic de TSA posé chez 31 des enfants exposés aux AD lors du 1er et/ou du 2e trimestre
Concernant les enfants exposés aux AD in utero (n = 4724, soit 3,2 %), 4 200 (88,9 %) l'ont été lors du 1er trimestre et 2 532 (53,6 %) lors du 2e et/ou 3e trimestre (Figure 1).
 
Figure 1 - Population de l'étude (extrait de JAMA Pediatrics 2015)


Après ajustement des résultats à l'ensemble des facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la survenue de l'autisme, l'utilisation d'AD durant le 2e et/ou le 3e trimestre de la grossesse était statistiquement associé à un risque accru de TSA de 87 % (31 enfants exposés, HR ajusté : 1,87 ; IC 95 % : 1,15-3,04) [Tableau 1]. 
Le risque absolu passerait donc de 0,72 % à 1,35 %.

L'utilisation d'AD lors du 1er trimestre de la grossesse ou durant l'année précédente n'était en revanche pas associée à ce risque (40 enfants exposés, HR ajusté : 0,84 ; IC 95 % : 0,52-1,36) [Tableau I].
 
Tableau I - Association entre l'exposition in utero aux antidépresseurs et risque de TSA
(extrait de JAMA Pediatrics 2015)


Une association légèrement plus prononcée pour les ISRS
L'utilisation d'antidépresseurs de la classe des ISRS lors du 2e et/ou du 3e trimestre de grossesse était associée, de manière statistiquement significative, à l'augmentation du risque de TSA (22 enfants exposés ; HR ajusté 2,17 ; IC 95 % : 1,2-3,93), de même que l'utilisation de plus d'une classe d'antidépresseurs (5 enfants exposés ; HR ajusté : 4,39 ; IC 95 % : 1,44-13,32) [Tableau II].

Cette association n'était pas retrouvée pour les autres classes d'antidépresseurs utilisés seuls [Tableau II].
 
Tableau II - Association entre l'exposition in utero à différentes classes d'antidépresseurs
au cours du 2e et/ou du 3e trimestre et risque de TSA (extrait de JAMA Pediatrics 2015)


Dans la population des enfants nés de mères ayant des antécédents de dépression, l'utilisation d'antidépresseurs lors du 2e et/ou du 3e trimestre de grossesse était associée à l'augmentation du risque de TSA comparé aux enfants non exposés (29 enfants exposés ; HR ajusté 1,75 ; IC 95 % : 1,03-2,97), ce après ajustement des résultats aux facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la survenue d'un TSA.

Mais l'association significative disparaît lorsque le diagnostic de TSA est confirmé par un spécialiste
Les auteurs ont conduit une analyse de sensibilité au sein de la population des enfants dont le diagnostic de TSA avait été confirmé par un psychiatre ou un neurologue.

Au sein de ce sous-groupe, l'augmentation du risque de TSA associé à la prise d'AD par la mère durant le 2e et/ou le 3e trimestre a été statistiquement observée comme dans l'analyse principale, mais pas de manière significative (HR ajusté : 1,65 ; IC 95 % : 0,98-2,22).

Cette étude comporte d'autres limites importantes
Si le choix d'une cohorte bien établie de femmes enceintes (Québec Pregnancy/Children Cohort) avec un suivi de 11 années, a permis d'obtenir des informations exactes sur les traitements suivis, les classes d'antidépresseurs utilisées et la durée précise (déterminée par échographie) de l'exposition in utero aux AD, les auteurs en dénoncent néanmoins certaines limites comme :
  • l'utilisation de données de prescription pouvant ne pas refléter la situation réelle ;
  • la prédominance de femmes et d'enfants de conditions économiques faibles au sein de cette cohorte impliquant une certaine prudence quant à la généralisation de ces résultats en population générale.
D'autres limites peuvent être considérées comme le petit nombre d'enfants exposés aux antidépresseurs in utero au cours du 2e et du 3e trimestre et ayant développé un TSA (n = 31) ou encore l'augmentation significative de ce risque retrouvé uniquement au sein du groupe des femmes enceintes traitées par ISRS alors qu'il s'agit du traitement antidépresseur le plus prescrit.

La prise d'autres médicaments ou les antécédents familiaux n'ont pas non plus été renseignés.

Des facteurs génétiques sous-jacents peuvent par ailleurs prédisposer certaines mères à développer une dépression et à utiliser des antidépresseurs, et exposer leur enfant à la survenue d'un TSA.

Si cette étude a été bien conduite, elle n'apporte toutefois pas la preuve que les AD utilisés pendant la grossesse sont la cause des TSA chez les enfants exposés in utero : nombre d'autres facteurs peuvent en expliquer les résultats.

Quel rôle pour la sérotonine dans les processus du développement neurologique ?
Selon les auteurs cependant, de nombreux mécanismes peuvent expliquer l'augmentation du risque de TSA associé à l'utilisation d'AD pendant la grossesse.

En effet, les ISRS traversent la barrière placentaire (Rampono J and al. Pharmacopsychiatry 2009) et sont retrouvés dans le liquide amniotique (Loughhead AM and al. Am J Psychiatry 2006).
Or, la sérotonine peut moduler nombre de processus du développement prénatal et post-natal parmi lesquels la division cellulaire, la migration neuronale, la différenciation cellulaire et la genèse des synapses (Gaspar P and al. Nat Rev Neurosci 2003).
En bloquant le transport de la sérotonine, les ISRS favorisent l'accumulation de ce neurotransmetteur dans l'espace extracellulaire. Et il est prouvé que les taux de sérotonine (5-hydroxytriptamine) sont élevés dans les plaquettes des sujets souffrant de TSA (Tordjman S and al. Mol Autism 2013).

La capacité du cerveau à synthétiser la sérotonine se développe de manière atypique chez les enfants soufrant de TSA (Chandana SR and al. Int J Dev Neurosci 2005) et la protéine de liaison du récepteur 2A à la sérotonine est altérée dans le cortex cérébral de ces patients (Murphy DG and al. Am J Psychiatry 2006).

Ces données pourraient en partie expliquer les résultats de cette étude de cohorte dont les auteurs concluent que les enfants exposés aux ISRS seuls au cours du 2e et/ou du 3e trimestre ont un risque supérieur de développer un TSA.

D'autres études seront néanmoins nécessaires pour élucider le mécanisme physiopathologique multifactoriel des TSA et pour déterminer avec précision les éventuels risques associés aux différents types d'antidépresseurs et à leurs posologies durant la grossesse.

Les données actuelles du CRAT sur les antidépresseurs pendant la grossesse
A ce jour, le Centre national de référence sur les agents tératogènes (CRAT) ne cite pas de précautions particulières concernant l'utilisation des antidépresseurs pendant la grossesse (Encadré 2).
 
Encadré 2 - Antidépresseurs - Grossesse et allaitement
(Données du CRAT, mise à jour du 22 septembre 2014)
  • Si un antidépresseur inhibiteur de recapture de la sérotonine (IRS) est nécessaire, une des molécules suivantes peut être utilisée, quel que soit le terme de la grossesse : fluoxétine (Prozac), sertraline (Zoloft), paroxétine (Deroxat), citalopram (Seropram) ou escitalopram (Seroplex).
  • Parmi les antidépresseurs tricycliques, on choisira si possible la clomipramine (Anafranil), l'amitriptyline (Laroxyl) ou l'imipramine (Tofranil).
  • Si un antidépresseur IRS/Noradrénergique est nécessaire, on pourra utiliser la venlafaxine (Effexor), quel que soit le terme de la grossesse.
  • Si le traitement est poursuivi jusqu'à l'accouchement, la survenue éventuelle de troubles néonatals transitoires sera prise en compte lors de l'examen du nouveau-né (cf. la fiche individuelle de chaque antidépresseur).

En l'absence de lien de causalité démontré, les résultats de cette étude ne peuvent permettre de conclure à un sur-risque et, pour l'heure, les femmes enceintes ne doivent pas arrêter leur traitement antidépresseur sans l'avis de leur médecin.
 
Sources

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