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Dompéridone : une étude française pointe à nouveau le risque de mort subite cardiaque, l'ANSM rappelle les précautions instaurées en 2014

La prise de dompéridone (MOTILIUM, PERIDYS et génériques) aurait été associée à la survenue d'environ 200 morts subites cardiaques en 2012 en France, selon une étude française publiée dans la revue Pharmacoepidemiology and drug safety. Les auteurs insistent sur la nécessité pour les prescripteurs de mieux prendre en compte ce surrisque cardiaque lors de la prescription de dompéridone. 

L'identification de possibles effets indésirables cardiaques graves avec ce médicament avait déjà conduit les autorités sanitaires à modifier en 2004, 2007 et 2011 leur autorisation de mise sur le marché et à mettre en garde les professionnels de santé sur leur utilisation.

Mais ces résultats, déterminés de manière indirecte, soulignent que les mesures de précaution mises en place jusqu'en 2012 n'auraient pas suffi à réduire ce risque. A tel point que les auteurs s'interrogent sur la pertinence du maintien sur le marché de ce médicament, interrogation relayée notamment par la revue Prescrire (Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire, est co-auteur de l'étude). 

Cependant, depuis 2012, date de l'analyse, le contexte a évolué : en 2014, la Commission européenne a certes décidé de maintenir les spécialités orales de dompéridone sur le marché européen, estimant que le rapport bénéfice/risque dans le soulagement des nausées et des vomissements était favorable, mais seulement à condition d'insérer de nouvelles contre-indications dans les mentions légales, d'utiliser ces médicaments à la dose efficace la plus faible possible et pendant une durée courte (voir notre article de septembre 2014).

En conséquence, l'ANSM a procédé en septembre 2014 à un retrait du marché des spécialités contenant plus de 10 mg de dompéridone, recommande une "durée de traitement la plus courte possible, ne devant pas dépasser généralement une semaine" et a demandé l'insertion de nouvelles contre-indications dans les Résumés des Caractéristiques des Produits restants sur le marché français.
David Paitraud 09 avril 2015 Image d'une montre6 minutes icon 8 commentaires
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La dompéridone est souvent utilisée, chez l'adulte comme chez l'enfant, dans le soulagement des symptômes de type nausées et vomissements (illustration).

La dompéridone est souvent utilisée, chez l'adulte comme chez l'enfant, dans le soulagement des symptômes de type nausées et vomissements (illustration).


Environ 3 millions de personnes auraient utilisé de la dompéridone en 2012
Catherine Hill, Philippe Nicot, Christine Piette, Karelle Le Gleut, Gérard Durand et Bruno Toussaint ont évalué l'exposition à la dompéridone dans la population française en 2012 à partir des données de l'EGB (échantillon généraliste des bénéficiaires). L'EGB est une base de données anonyme de l'Assurance maladie, correspondant au 1/97ème de la population couverte en France (soit 660 000 personnes environ).

En 2012, au sein de l'EGB, 49 354 personnes auraient été exposées au moins une fois à la dompéridone, soit 7,7 %. Rapporté à la population française, cela correspondrait à environ 3 millions de personnes.

Retenus pour l'étude : les adultes non atteints d'un cancer
Les femmes ont été plus exposées que les hommes (9.2% vs. 6.0%) et les enfants de moins de 10 ans plus exposés que les adultes (18% des moins de 5 ans et 11 % des 5-9 ans).

La proportion de patients atteints d'un cancer utilisateurs de dompéridone est également plus importante (12 %). Après exclusion des moins de 18 ans et des patients cancéreux, les auteurs estiment que le taux d'exposition à la dompéridone des adultes est de 6,4 %, soit 31 190 personnes dans l'EGB.

Détermination indirecte du surrisque théorique de mort subite cardiaque à partir des données de 5 études
Pour évaluer le nombre de morts subites imputables à la prise de dompéridone, étant donné que l'EGB n'indexe pas ce type de données, les auteurs ont eu recours aux calculs de  Hondeghem LM, qui a établi à partir des données de 3 études hollandaises, 1 canadienne et 1 anglaise le surrisque moyen de décès par mort subite associé à une exposition au dompéridone 
- la première étude hollandaise (
Straus SMJM et coll. 2005) estimait ce surrisque à 380 % (OR ajusté = 3,8) ;
- la seconde (
Bruin ML et coll. 2006) l'a estimé à 470 % (OR ajusté = 4,7) ;
- la troisième (
van Noord C et coll. 2010), limitée aux adultes sans cancer, trouvait un OR ajusté à 2 (11,4 pour des doses quotidiennes supérieures à 30 mg) ;
- l'étude canadienne (
Johannes CB et coll. 2010) montrait un OR ajusté de 1,59 ;
- l'étude anglaise (
Hennessy S et coll. 2008) retrouvait un OR à 1,36

A partir de ces 5 études, Hondeghem LM a conclu que le risque relatif moyen était de 2,8 (IC 95 % 1,53 - 6,21), chiffre retenu par Catherine Hill et coll. pour effectuer leurs calculs.

Détermination de l'exposition au dompéridone et à d'autres médicaments à risques
Les auteurs ont évalué, à partir des données de l'EGB, la quantité de dompéridone dispensée en France. Leurs calculs aboutissent à une dispensation d'au moins 2,4 tonnes de dompéridone en 2012 dans la population française majeure, sans cancer, correspondant à 6,4 % de personnes ayant pris de la dompéridone pendant, en moyenne, 37 jours en 2012. 

Ils ont également estimé le nombre de prescriptions de dompéridone associées à la prescription d'un neuroleptique ou d'un inhibiteur du cytochrome P450, autres médicaments susceptibles d'augmenter le risque de mort subite cardiaque. Ce nombre était de 2,9 et 4,3 % respectivement. 


Calcul du nombre de morts subites cardiaques associées à la prise de dompéridone
Les auteurs ont utilisé le surrisque moyen (R=2,8), la population adulte sans cancer exposée (p=6,4 %) et la durée moyenne d'exposition déduite des données de l'EGB et du volume de dispensation (f=37 jours/365) pour calculer la fraction attribuable (AF) de ces décès au dompéridone : 

AF = pf (R-1) / pf (R-1) + 1 = 0,64 % [édit : avec les chiffres mentionnés dans la publication et repris ci-dessus, nous trouvons AF = 0,54 %, un correctif de biais a dû être effectué, ou une autre formule plus complexe employée, mais ce n'est pas détaillé 
/édit].

L'incidence française moyenne annuelle des morts subites cardiaques étant estimée à 40 pour 100 000 personnes par an, il y aurait eu environ 20 000 décès subits d'adultes sans cancer en 2012. Les auteurs en concluent qu'il y aurait eu plus de 200 décès cardiaques associés à la prise de dompéridone (0,64 x 20 000 / 100 = 128 [
édit : 128 avec le calcul tel que présenté, correction des auteurs non détaillée à 231, formule peut-être également plus complexe que présentée/édit]. 

L'ANSM souligne une baisse de 30 % de l'utilisation de la dompéridone depuis la réalisation de cette étude et rappelle les mesures restrictives en cours
Suite à la publication et la médiatisation par la revue Prescrire des résultats de cette étude, l'ANSM a publié  le 7 avril un communiqué indiquant  que le nombre de personnes traitées par dompéridone a baissé de 30 % entre 2012 et 2014 et rappelle aux prescripteurs les recommandations de bon usage et de sécurité de ce médicament (voir notre article de février 2014). 

Ces recommandations ont été encore renforcées en septembre 2014, suite à la réévaluation de  la Commission européenne du rapport bénéfice/risque de la dompéridone par voie orale. Pour la Commission, l'utilisation de dompéridone peut être poursuivie pour le soulagement des symptômes de nausées et de vomissement.

Mais pour minimiser les risques cardiaques, notamment le risque d'allongement de l'intervalle QT, l'Agence a émis des recommandations de bon usage et ajouté de nouvelles contre-indications :
  • utilisation de la dompéridone à la dose efficace la plus faible, pour une période la plus courte possible. La durée maximale du traitement ne doit généralement pas dépasser une semaine ;
  • pour les adultes et adolescents à partir de 12 ans et de 35 kg, la posologie recommandée est de 10 mg jusqu'à 3 fois par jour, soit une dose quotidienne maximale de 30 mg ;
  • pour les nouveau-nés, nourrissons, enfants (moins de 12 ans) et adolescents de moins de 35 kg, la posologie recommandée est de 0,25 mg/kg jusqu'à 3 fois par jour, soit une dose quotidienne maximale de 0,75 mg/kg

En complément, ces spécialités ont été contre-indiquées :
  • chez les patients présentant une insuffisance hépatique modérée ou sévère, 
  • en cas d'affections qui allongent ou qui pourraient affecter la conduction cardiaque, 
  • en cas d'affections cardiaques sous-jacentes telles qu'une insuffisance cardiaque congestive, 
  • ainsi qu'en cas de prise concomitante de médicaments qui allongent l'intervalle QT ou d'inhibiteurs puissants du cytochrome P450 3A4.
Enfin, les AMM (autorisation de mise sur le marché) des spécialités contenant 20 mg de dompéridone par unité de prise ont été retirées le 10 septembre 2014 par l'ANSM. 

Pour aller plus loin :
L'étude sur la dompéridone objet principal de cet article :

Estimating the number of sudden cardiac deaths attributable to the use of domperidone in France , Catherine Hill et coll., Pharmacoepidemiology and drug safety, 31 mars 2015 

Les 5 études ayant permis de déterminer le surrisque moyen en cas de prise de dompéridone et la publication d'Hondeghem LM.? déterminant l'OR moyen de 2,8 : 
Non-cardiac QTc-prolonging drugs and the risk of sudden cardiac death, Straus SMJM et coll.,  European Heart Journal 2005; 26: 2007–2012.
In-hospital cardiac arrest is associated with use of non-antiarrhythmic QTc-prolonging drugs, De Bruin ML et coll., Br J Clin Pharmacol 2006; 63(2): 216–223.
Domperidone and ventricular arrhythmia or sudden cardiac death: a population based case-control study in the Netherlands, van Noord C et coll., Drug Saf 2010; 33(11): 1003–1014.
Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone: a nested case-control study, Johannes CB et coll., Pharmacoepidemiol Drug Saf 2010;19(9): 881–888.
Diagnostic codes for sudden cardiac death and ventricular arrhythmia functioned poorly to identify outpatient events in EPIC's General Practice Research Database, Hennessy S et coll., Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2008; 17: 1131–1136.
Domperidone: limited benefits with significant risk for sudden cardiac death. J Cardiovasc, Hondeghem LM.,  Pharmacol 2013; 61(3): 218–225.

Les relais de cette étude par la revue Prescrire et l'ANSM :
Dompéridone (Motilium ou autre) : trop de morts subites injustifiées en France, Prescrire, avril 2015
Dompéridone et risques cardiaques, ANSM, 7 avril 2015

Sur Vidal.fr
Dompéridone et risques cardiaques : des recommandations européennes conformes à celles de la France (1er septembre 2014)
Médicaments à base de dompéridone : l'ANSM rappelle ses mises en garde (février 2014)

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bfalbouy Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Elle tombe à point cette étude. Un nouvel anti-émétique va-t'il sortir ? Ou alors formatage intellectuel prétexte à déremboursement ?
Cyrille Médecin Généraliste Il y a 9 ans 0 commentaire associé
Que fait-on quand les autres spécialités sont en rupture de stock pendant de longs mois ? Surtout en pleine épidémie de gastro-entérite ?
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