#Santé publique

Médicaments génériques, dépistages, vaccinations : interview du Dr Danielle Torchin

Objet de nombreuses controverses au sein de la communauté scientifique, la prévention est un des éléments phares du projet de loi de Madame le Ministre de la santé.

Le Dr Danielle Torchin, médecin généraliste et régulateur au SAMU de Paris, nous livre son point de vue et nous fait partager son expérience dans les domaines de la cancérologie, la vaccination ou la pharmacopée.

 
27 novembre 2014 Image d'une montre8 minutes icon 5 commentaires
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VIDAL : S'agissant de la prévention du cancer du sein, que pensez-vous du  dépistage organisé consistant à pratiquer tous les 2 ans une mammographie chez les femmes de 50 à 74 ans ?
Danielle Torchin : Bien qu'il prête à controverse, je reste fidèle à ce dépistage, en particulier chez les femmes à risque ou chez celles ayant des antécédents de cancers familiaux.
Mon expérience est que dans la majorité des cas la survie est meilleure lorsque le diagnostic est porté précocement.
Ma patientèle comporte beaucoup de femmes ayant un cancer du sein et, chez les femmes de  40 à 75 ans, je constate qu'il y en a plus qu'avant : sont-ils mieux dépistés ? Les femmes vivent-elles plus âgées ? Suis-je un interlocuteur qui a vieilli avec des femmes à risque en nombre plus important ?
Bien que certaines données indiquent que le dépistage n'améliore pas la mortalité du cancer du sein, il est difficile de renoncer à cette pratique, ancrée dans nos têtes et soutenue par les Autorités de santé. En effet, d'une part, les femmes reçoivent tous les deux ans un courrier de rappel les incitant au dépistage et, d'autre part, ce dépistage fait partie de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).  La Sécurité sociale calcule le pourcentage de mammographies prescrites et les médecins de la Caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM) voient régulièrement les praticiens pour leur dire s'ils sont ou non dans les « clous ».
Certaines femmes ne veulent pas se faire dépister : dans ce cas, j'en discute avec elles et elles sont libres de refuser la mammographie.
 
VIDAL : Le cancer de la prostate ne fait l'objet d'un dépistage organisé ni en population générale, ni dans les populations à risque. Quelle est votre position sur cette démarche de prévention controversée ?
Danielle Torchin : Pour avoir suivi les débats sur cette question, ma position est que je n'y suis pas opposée, ce par expérience : j'ai en effet suivi des patients dont le cancer de prostate avait été diagnostiqué et opéré tôt, et qui n'en ont plus jamais entendu parler après.
Les traitements ont par ailleurs progressé, ils sont moins destructeurs qu'ils ont pu l'être à une époque, je pense aux incontinences par exemple : je n'en vois plus ou bien je vois des fuites qui surviennent au cours de la première année, mais qui s'arrangent après.
Il est vrai que le problème de l'impuissance reste mais il existe des moyens de lutter contre, comme le sildénafil. Des  études ont par ailleurs montré que l'agressivité des cancers de prostate pouvait à présent être mieux évaluée, par IRM par exemple, ce qui constitue un facteur important dans la décision d'opérer ou non.
En pratique, je ne demande pas systématiquement le dosage des antigènes prostatiques spécifiques (PSA) sans en parler aux patients. Je discute avec eux, je leur donne les éléments du débat et je leur explique qu'en cas de PSA élevés, il faut envisager une biopsie, avec ses risques et ses avantages, et qu'en cas de biopsie positive, les traitements qui s'en suivent peuvent être mutilants.
Je leur demande également d'aller se renseigner sur des sites - en l'occurrence celui de l'Association française d'urologie (AFU) – et auprès de leurs connaissances pour qu'ils se fassent leur propre opinion et, in fine, qu'ils me disent s'ils sont d'accord ou pas avec ce dépistage. Cela reste assez partial car, comme je suis plutôt pour ce dépistage, je dois sûrement les influencer…  
Néanmoins, pour un patient qui refuse d'emblée tout autre examen dans le cas où les PSA seraient élevés, se pose la question de ce dépistage : savoir qu'on a un cancer de prostate et ne rien faire, n'est pas non plus une position confortable…
Petite anecdote : mon interne, en stage dans mon cabinet, avait été très frappée de voir que nous prenions 20 minutes pour discuter du problème alors qu'à l'hôpital, la prescription était faite sans même en parler aux patients.
 
VIDAL : La prévention du cancer du col de l'utérus par la vaccination contre certains Papilloma virus est recommandée par les Autorités de santé chez les petites filles dès l'âge de 9 ans. Quels conseils préconisez-vous aux mères de vos petites patientes ?
Danielle Torchin : C'est un vrai problème car j'éprouve des réticences vis-à-vis de cette vaccination et, de ce fait, je ne la propose pas systématiquement. Je trouve que l'on manque de recul, tant en termes d'efficacité que d'innocuité, je ne suis pas certaine qu'il n'y ait pas d'effets secondaires mal connus.
Je suis très partagée, alors que les gynécologues y sont très favorables : ils voient des femmes qui ont eu des dysplasies, qui sont dans la galère des traitements, des surveillances, etc., et ils me disent que, quand une femme a un tel antécédent, elle veut que sa fille soit vaccinée. C'est probable, cependant, ce ne sont pas les gynécologues qui font les vaccinations : quand ils prescrivent le vaccin, ce sont les médecins généralistes qui piquent donc il faut qu'ils aient des arguments pour le faire !
En pratique, si les mères ne m'en parlent pas, je leur dis que la vaccination existe, qu'elles réfléchissent, qu'elles discutent. Si au terme de cette réflexion, elles demandent que leur fille soit vaccinée, je les vaccine. J'ai déjà vacciné plusieurs patientes, je le fais mais un peu en freinant des quatre fers. Je voudrais attendre d'en savoir plus, je n'ai pas tellement envie de me reprocher d'avoir poussé à une vaccination qui avait des effets secondaires. J'insiste sur la surveillance par frottis de toutes façons, et sur l'importance de consulter un gynécologue, je fais moi-même des frottis.
La réponse n'étant pas univoque, je reste avec une hésitation.
 
VIDAL : Les médicaments de prescription médicale facultative, de médication officinale ou en accès libre favorisent-ils selon vous la iatrogénie ?
Danielle Torchin : Certainement. L'automédication pose un problème du cumul de plusieurs principes actifs qui interagissent. C'est par exemple le cas avec le millepertuis, préconisé contre les troubles de l'humeur et que beaucoup de gens prennent : ce produit interagit avec la pilule, les anticoagulants, les antidépresseurs, les médicaments du sida. Il est donc déconseillé de le prendre sans un avis éclairé. L'automédication expose de plus les gens à des produits potentiellement dangereux et je pense notamment à la levure de riz rouge dont on a beaucoup parlé dans les hyperlipidémies. Les gens se sont mis à en prendre pour faire baisser leur cholestérol. Alors, peut-être que ce produit  a un effet sur le cholestérol, mais j'ai reçu un courrier de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière pour m'avertir du risque d'hépatites gravissimes chez des sujets qui consomment de la levure de riz rouge.
Pour les médecins, le problème de l'automédication est de ne pas savoir ce que les gens prennent. Il faut être très vigilant et leur demander s'ils consomment des produits d'automédication et lesquels, notamment chez les personnes qui présentent des allergies, des urticaires, etc. Quand un patient me demande s'il peut prendre tel produit, je lui réponds que je ne sais pas, que ça n'a pas été évalué avec les méthodes habituelles, qu'il n'y a pas eu d'études dessus, donc qu'il y a toujours un risque avec les produits de la pharmacopée non officielle.
Concernant les médicaments de médication officinale, il y a du pour et du contre : prenons l'exemple de la cétirizine, une substance antiallergique qui était inscrite dans la pharmacopée. Elle a été mise en vente libre en plaquette de 7 comprimés à un prix bien supérieur à celui du même médicament remboursé en plaquettes de 15 comprimés, ce qui est purement commercial : je ne prescris donc plus de cétirizine en plaquette de 7, ce n'est d'ailleurs plus la peine, mais en plaquette de 15.
A côté de ces considérations commerciales, si des gens ont une piqûre de moustique, qu'ils sont à la campagne, qu'ils ont envie d'avoir un antiallergique et qu'ils vont acheter de la cétirizine en vente libre, je n'ai rien contre si le pharmacien le conseille. 
Disons que le risque des médicaments de médication officinale reste assez modéré car les pharmaciens peuvent être de bon conseil. Idem pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), quand le pharmacien est sérieux, et qu'il conseille 8 jours avec un IPP à moindre dose, pourquoi pas ?
Le problème est que ça ne marche pas, ces gens ont dépensé beaucoup d'argent en automédication et viennent après voir leur médecin.
 
VIDAL : Les génériques et la prescription en DCI peuvent-ils constituer des facteurs de iatrogénie ?
Danielle Torchin : Les génériques sont de grands pourvoyeurs d'erreurs médicamenteuses. Un même médicament peut se présenter sous trois formes galéniques différentes alors, pour peu que le pharmacien n'ait plus la forme qu'il a dispensé la fois précédente, le patient est perdu et c'est normal. Il aurait au moins dû y avoir une uniformisation de la galénique entre les génériques et le médicament princeps. Et je l'observe au SAMU où je reçois des appels de patients me disant : « On m'a changé de comprimé, je me suis trompé, j'ai pris deux trucs au lieu de deux machins parce qu'ils ont la même couleur ».  C'est évident, je me suis moi-même trompée, même pour moi ! Ça c'est un scandale.
Cela influence ma prescription, pas souvent mais certains patients me demandent de ne pas leur prescrire de génériques et je me vois mal leur refuser. Ils me disent qu'ils se trompent, qu'ils préfèrent avoir toujours le même comprimé, qu'ils ont le sentiment que le comprimé est moins efficace alors, quand on connaît l'effet placébo, on sait que si le patient a le sentiment que le médicament sera moins efficace sous forme de générique, il le sera.
Concernant la prescription à venir en dénomination commune internationale (DCI), nous la pratiquons déjà en partie car beaucoup de génériques ont leur nom en DCI. Mais pour les patients, cela risque de leur compliquer un peu la vie : souvent les noms de médicaments en DCI sont bien plus compliqués que les noms commerciaux pour lesquels les labos ont déjà beaucoup cogité pour trouver des appellations faciles à retenir. Certes, la prescription en DCI permet de connaître la substance que l'on prend, mais cela nécessite un bon niveau de connaissances : c'est peut-être bien pour le médecin, ça l'est moins pour le patient. Ainsi, lorsque de l'amoxicilline-acide clavulanique est prescrit à un patient, il pourra dire ensuite : « J'étais en vacances, le médecin m'a prescrit un antibiotique », « Lequel ? », « Je ne me souviens pas, ça commençait par A… », « Amoxicilline ? » « Ah oui ! C'était de l'amoxicilline », et il oublie complètement que c'était de l'amoxicilline-acide clavulanique, ce qui change tout !
C'est un vrai problème, qui se cumule avec celui des génériques, à suivre…
 
Propos recueillis au cabinet du Dr Danielle Torchin le 9 septembre 2014

* Les liens d'intérêt du Dr Danielle Torchin sont accessibles sur le site dédié du Conseil de l'Ordre des Médecins
 
En savoir plus via VIDAL.fr :
Obligation d'utiliser un "LAP" certifié et de prescrire en DCI : parution du décret (18 Novembre 2014)
Les changements de couleur ou de forme des médicaments augmentent les risques d'interruption du traitement (9 Octobre 2014)
Vaccins contre certains papillomavirus humains : que disent les études utilisées par les autorités sanitaires ? (15 avril 2014)
Dépistage organisé du cancer du sein : renforcement prévu en France, controverse en Suisse (4 février 2014)
Sources

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Modérateur Il y a 9 ans 0 commentaire associé
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