#Socio-professionnel

"Les soignants qui suivent un enseignement d’éthique sont très engagés" Emmanuel Hirsch

Le Pr Emmanuel Hirsch rencontre depuis plus de 20 ans des professionnels de santé, notamment dans le cadre de sa fonction de directeur de l’Espace éthique de la Région Ile-de-France, espace qui délivre des enseignements universitaires d’éthique. 
 
Disponibilité, surmédicalisation, gestion des évolutions sociétales, législatives.. Emmanuel Hirsch nous fait part de son regard sur les interrogations de ses étudiants et les changements auxquels ils sont confrontés.

Vous pouvez accéder, via cette page de Vidal.fr, aux 5 autres vidéos issues de notre entretien avec Emmanuel Hirsch.
14 octobre 2014 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Echanges entre professionnels de santé (photographie d'illustration).

Echanges entre professionnels de santé (photographie d'illustration).


VIDAL : Quels sont les types de questions qui nécessitent une approche éthique ? 
Emmanuel Hirsch : il nous semble qu'un certain nombre de circonstances peuvent justifier une approche éthique. Mais cette approche n'est pas de l'ordre de la théorie mais de l'ordre de l'implication sur le terrain avec des professionnels. Comment font-ils lorsqu'ils cherchent à faire le moins mal possible et à quels types d'enjeux sont-ils confrontés ? À quels types d'écueils ? Aujourd'hui, cela serait tout à fait suspect de faire de l'éthique sans prendre en compte les choix gestionnaires : quels sont les critères qu'imposent aujourd'hui un certain nombre de décisions ? Qu'est-ce qu'on va faire prévaloir dans une décision ? Ce n'est pas à nous de juger, nous sommes dans un état de droit, avec une représentation parlementaire.

C'est donc à nous de montrer comment les questions se posent et quels types de conséquences peuvent avoir certaines décisions quand une option est prise par rapport à tel ou tel type de population : est-ce que nous sommes dans la justice ? Est-ce que la précarité est encore accueillie dans des hôpitaux qui sont quand même dans une tradition hospitalière, même s'ils s'appellent CHU ? Est-ce que l'excellence relève également de valeurs morales, ou est-ce uniquement en termes de publications qu'il faut évaluer les résultats et les performances ?
 

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VIDAL : Quel a été le premier groupe de travail mis en place par l'Espace Ethique ?
Emmanuel Hirsch : Pour nous, ce n'est pas qu'un symbole de dire que le premier groupe de travail de l'Espace éthique a été le groupe des chambres mortuaires, qui fonctionne d'ailleurs toujours, avec des rendez-vous réguliers et tout un travail sur les extrêmes et les limites du soin. À l'époque, en 1995, nous étions dans la mouvance des soins palliatifs, qui ont émergé en France dans les années 80. Mais nous avons eu à cœur d'aller jusqu'au bord, jusqu'aux limites [NDLR : la mort, le deuil].  
 
C'est vrai que lorsqu'une personne a été plus ou moins longtemps malade, que ses fonctions se sont altérées, que la relation a été de plus en plus pénible, dire comme cela que cela s'est arrêté peut être aussi une délivrance pour certains proches. Ces derniers pouvaient appréhender cette situation de rupture et peuvent découvrir que finalement, peut-être que c'était un "moindre mal" pour la personne décédée. il faut aussi pouvoir le dire si nous voulons comprendre les enjeux, si nous voulons les anticiper. Il faut aussi pouvoir dire que respecter le corps d'une personne qui est défunte, c'est aussi lui rendre sa dignité lorsqu'elle a été altérée par la maladie, lui redonner un visage humain et permettre à la séparation d'avoir lieu dans les moindres mauvaises conditions.  Tous ces éléments sont des éléments certes extrêmes mais qui peuvent réhabiliter un certain discours.
 
VIDAL : Pourriez-vous nous donner un exemple de question abordée fréquemment avec vos étudiants ?
Emmanuel Hirsch : Un des éléments que nous abordons beaucoup dans toute la réflexion éthique et que nos étudiants, qui sont tous des professionnels, évoquent souvent dans leurs travaux, c'est la disponibilité. Qu'est-ce que c'est "être disponible à l'autre" ? C'est une question qui ne se pose pas uniquement en termes de technicité, mais aussi en termes d'humanité. Dans une société qui relègue la personne malade et qui fait que l'hôpital, mais également le médico-social, le domicile et toute la chaîne qui se mobilise (réseaux, assistances au quotidien)… Tous ces professionnels se trouvent solitaires dans un espèce de huis clos auprès d'une personne qui n'est pas uniquement abandonnée par les professionnels, mais aussi par la société et quelquefois les familles, qui ne "désertent" pas mais s'usent à cause de la longueur de la maladie.
 
Lorsque vous voyez que certaines personnes malades ne sortent de chez elles, pour autant qu'elles aient un chez elles, que pour aller à l'hôpital en consultation… Leur seul contact avec la société, c'est l'ambulance… À travers les vitres, on voit une société et le reste, c'est finalement très virtuel… Donc lorsque vous voyez de telles situations, vous vous interrogez pour savoir si on est dans la vie ou la survie, et quel type de responsabilité exerce-t-on vis-à-vis de ces personnes. Donc vous vous retrouvez tout de suite, non pas dans une position de résistance, mais dans une position de questionnement. Et pour moi l'éthique, c'est l'art d'un questionnement qui soit le moins partisan possible, le plus partagé possible, nécessitant de rentrer dans la complexité.
 
VIDAL : Vous jugez donc qu'il ne faut pas mettre en place toute cette médicalisation ?
Emmanuel Hirsch : Je ne juge pas, je dis "comment démédicaliser aujourd'hui un certain nombre de questions qu'on surmédicalise" ? Nous sommes actuellement dans le débat sur la fin de vie : la fin de vie, ce n'est pas uniquement une question de décision médicale, c'est aussi une question de reconnaissance de l'autre dans sa vulnérabilité, jusqu'au terme de sa vie. C'est aussi une question d'aménager un certain nombre de conditions qui sont favorables au maintien à domicile, au soutien des proches…Donc des questions qui sont de l'ordre du politique, pas uniquement du médical.
 
De la même manière que Michel Foucault contestait une certaine forme d'évolution vers un biopouvoir, en termes de décision de vie ou de mort, je pense que si la société d'aujourd'hui ne se mobilise pas davantage et ne comprend pas les enjeux aujourd'hui des évolutions biomédicales… C'est bien qu'une personne puisse, d'une maladie qui était délétère, parvenir à une maladie chronique, c'est bien aussi qu'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer puisse évoluer pendant 13 ou 15 ans avec sa maladie. Mais pour autant, en contrepartie, il faut que la personne ait encore le sentiment d'exister socialement, d'avoir sa part et sa reconnaissance, ce qui n'est pas évident.
 
VIDAL : Qu'est-ce qui motive ces soignants à suivre des cours d'éthique ?
Emmanuel Hirsch : Ce sont des gens qui sont toujours en activité et qui ont l'audace ou l'envie d'éthique. C'est-à-dire qu'en sus de leur activité professionnelle et de leur vie familiale qui sont quelquefois accaparantes, ils décident de faire un doctorat pendant un ou deux ans quelquefois cinq ans. C'est assez impressionnant. Citez-moi les métiers où les gens, en plus du reste, en plus des adaptations à des évolutions entre l'ambulatoire et le domicile et les nouvelles technologies, trouvent encore de l'envie, de l'appétence pour la démocratie, c'est-à-dire pour l'éthique. Il existe quelques initiatives universitaires comme cela à Paris (Pr Christian Hervé), à Marne-La Vallée, et nous faisons le même constat : ce sont des gens très représentatifs, ce ne sont pas gens qui sont dans le mal-être, ce sont au contraire des gens très engagés. Et ils trouvent une opportunité pour aller plus loin dans l'analyse, la compréhension et le décryptage de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font. Pour moi, c'est très promoteur : comme nous avons un recrutement national, nous pouvons nous dire qu'il y a des petites lumières allumées sur le territoire. Et quelquefois, cela peut être des EHPADs, pas uniquement des centres hospitaliers.
 
VIDAL : Que deviennent les analyses et réflexions de ces soignants formés à l'Espace éthique ?  
Emmanuel Hirsch : Nous avons aujourd'hui 1 300 mémoires indexés et numérisés. Pour les historiens du futur, ce sera très intéressant de voir toute cette somme de réflexions qui touchent à toutes les réalités. Il y a eu les époques "soins palliatifs", les époques "éducation thérapeutique"… C'est-à-dire que nous suivons absolument toutes les évolutions et involutions au travers des travaux de nos étudiants. Avec un plus : ces mémoires constituent bien sûr d'abord une restitution de leur expérience, à travers tout ce qui est éthique en actes, mais ils comportent également une réflexion. Et c'est extrêmement précieux. Les politiques ne reposent pas assez leurs réflexions et leurs décisions sur cette expertise. On nous parle de l'expertise de la personne malade, mais il y a aussi une expertise professionnelle qui n'est pas uniquement dans la technicité de l'acte, dans les protocoles et dans les procédures.
 
VIDAL : Que pourrait apporter l'expertise des professionnels aux décideurs politiques ?
Emmanuel Hirsch : Il y a déjà un regard que les professionnels portent sur leur interrelation. Un des éléments de la souffrance des professionnels est la mise en cause de tout ce qui était de l'ordre de l'équipe, de l'ordre de la confiance réciproque au sein d'une structure. C'est-à-dire que tout un ensemble d'évolutions, comme la création des pôles de santé  [NDLR : pôles créés en 2009 par la loi HPST] et la remise en cause du service hospitalier (avec tout ce qu'il y avait comme valeurs partagées, projets partagés).. Ces évolutions ont une influence sur les professionnels, qui ont l'impression d'être en errance par rapport à ce qu'ils ont connu auparavant. Donc ce sont des éléments à prendre en considération lors de la prise de décisions. Certaines décisions ont des impacts dont on ne considère pas a priori qu'ils peuvent être totalement délétères pour l'esprit d'équipe, pour l'assurance d'aller jusqu'au bout du soin. Il est difficile d'être dans la continuité de l'accompagnement d'une personne alors que tout est morcelé et remis en cause par des procédures, par des organisations… Tout cela, ce sont des éléments recueillis au niveau des équipes de management et que l'on pourrait reprendre. Nous, nous avons cette espèce de regard, forgé à travers une expérience comprise et intelligente. Cette intelligence qui manque quelquefois aux décideurs.
 
Propos recueillis le 29 septembre 2014 à l'Espace éthique de la région Ile-de-France, CHU Saint Louis, Paris

En savoir plus : 
Le site de l'Espace éthique de la région Ile-de-France
Le site personnel d'Emmanuel Hirsch
Sources

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