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Schizophrénie : un avatar numérique pour lutter contre les hallucinations auditives ?

Environ la moitié des patients schizophrènes "entendent des voix" ou des bruits qui, selon eux, les persécutent. Ces hallucinations auditives ne répondent pas toujours aux thérapies usuelles, dont l’utilisation de thérapies cognitivo-comportementales prolongées et/ou de médicaments antipsychotiques. Elles peuvent alors constituer un lourd handicap pour la vie quotidienne des patients.

Afin de tenter de les aider, des chercheurs anglais les ont confrontés à un avatar réalisé à partir de leurs hallucinations.

Retour sur les résultats prometteurs de cette étude pilote et les explications avancées par les auteurs dans l'édition de juin de la revue Psychosis.
08 septembre 2014 Image d'une montre4 minutes icon Ajouter un commentaire
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Un avatar informatique calqué sur les hallucinations auditives
Le Pr Julian Leff et ses collaborateurs de l'University College of London ont remarqué que les patients schizophrènes qui arrivaient à "dialoguer" avec leurs "voix" se sentaient moins impuissants, moins handicapés que ceux qui n'y arrivaient pas.

Afin de faciliter ce "dialogue", ils ont eu l'idée de développer un programme qui permet au patient de créer un avatar de l'entité, humaine ou non humaine (diable, fantôme, extra-terrestre, etc.) qui, selon eux, les persécutent. Le patient choisit d'abord un visage, puis le thérapeute, situé dans une autre pièce, lui fait entendre sa propre voix déformée de multiples manières, jusqu'à ce que le patient choisisse la plus proche de celle qui le hante. 

Le thérapeute va ainsi pouvoir dialoguer avec le patient avec sa voix déformée via l'avatar (qui bouge les lèvres en même temps), ou avec sa voix normale (il joue donc deux rôles dans la thérapie, celui de l'avatar et du soignant).

Le thérapeute modifie l'avatar au fur et à mesure pour qu'il passe sous le contrôle du patient
Lors d'une séance avec avatar, le patient est invité à dialoguer avec lui et à s'y opposer, à lui demander de le laisser tranquille. Certains ont été très timides lors de la première confrontation, d'où l'importance des encouragements du thérapeute. De fait, petit à petit, les patients ont pu prendre des risques avec l'avatar, lui faire face, lui dire avec force de les laisser seuls, ce qu'ils n'osent pas tenter avec leur persécuteur invisible.

Au fur et à mesure des séances, le thérapeute va modifier le comportement de cet avatar pour qu'il passe progressivement sous le contrôle du patient, qu'il soit moins menaçant, puis souriant, agréable, au cours de 6 séances hebdomadaires de 30 minutes.

Les dialogues sont sauvegardés et remis au patient, qui peut l'utiliser à tout moment pour renforcer son contrôle sur la "voix" qui le persécute.

Un essai clinique pilote randomisé montre des résultats positifs
Un groupe de 26 patients schizophrènes, entendant des "voix" depuis 4 à 30 ans (médiane : 10 ans), traités par médicaments anti-psychotiques et rendez-vous réguliers avec un psychiatre, a permis de tester cette technique. Seize d'entre eux ont bénéficié de séances avec un avatar.

L'évaluation (1 semaine après la fin des séances et 3 mois plus tard), effectuée avec une échelle de cotation des symptômes psychotiques (PSYRATS) a montré une réduction moyenne du score de 8,75 (p = 0,003) par rapport au groupe de 10 patients sans avatar.

Une autre évaluation, cette fois-ci avec une échelle de perception de "malveillance" (Beliefs About Voices Questionnaire - BAVQ-R), a montré "une amélioration significative de la perception de malveillance et d'omnipotence de la voix" (- 5.88 points, p = 0.004).

Enfin, à 3 mois, une réduction significative des symptômes dépressifs a été constatée.

Trois patients n'entendent plus du tout de voix au bout de 3 mois
Chez 3 patients, cette thérapie a été spectaculaire : ils ont cessé d'entendre les "voix" persécutrices au bout de 2 séances pour deux d'entre eux, de 5 séances pour le troisième. A 3 mois, les "voix" étaient toujours absentes.

Un quatrième patient, qui entendait des voix depuis plus de 30 ans, a modélisé un avatar de femme sarcastiquequi se moquait de lui (ci-contre), sorte de compilation de membres de son entourage qui le dévalorisaient sans cesse. Le thérapeute a progressivement fait évoluer cet avatar, qui s'est mis à lui demander ses qualités et à les souligner, à l'encourager. Résultat, après ces 6 semaines de thérapie avec avatar, ces "voix" sarcastiques se sont considérablement atténuées et n'étaient plus que rarement désagréables.

Analyse des auteurs : presque tous les patients se sont comportés avec l'avatar comme avec une personne réelle
Les auteurs soulignent à quel point le dialogue qui s'est engagé est réaliste, en raison de la nature humaine de l'avatar (thérapeute dans une pièce à côté).  Seuls deux patients n'ont pas accepté l'avatar comme représentation de leur hallucination, un étudiant, qui s'adressait au thérapeute et non à l'avatar, et une adolescente, qui présentait d'autres troubles psychotiques associés.

Les auteurs estiment aussi que l'évolution du caractère de l'avatar eu fil du temps est un "élément important de la thérapie" : il cesse d'être violent, hors de contrôle, et devient de plus en plus un soutien pour le patient, amical et souriant, comme "une substitution parentale". Il en résulte une prise de contrôle progressive qui va réduire leur sentiment d'impuissance et "leur permettre de faire face à leur persécuteur avec davantage de courage et d'audace". Un patient a ainsi dit au "diable" qui le persécutait : "tu ne reviendras pas !".

Cette thérapie, beaucoup, plus courte qu'une thérapie coginitivo-comportementale classique, pourrait aussi aider le patient à réaliser que ces "voix" sont des hallucinations, proviennent de l'intérieur de son esprit et non de l'extérieur.

L'importance du remis des enregistrements
Les auteurs insistent également sur l'importance du lecteur multimédia donné à chaque patient, ce qui lui permet de réécouter à sa guise les séances enregistrées (extrait audio d'une séance, en anglais).  Une sorte de "thérapeute de poche" qui leur rappelle leur succès (notamment les séances où l'avatar liste les qualités du patient) et renforce leur courage pour s'opposer aux voix résiduelles, ce qui pourrait expliquer la réduction des symptômes dépressifs.

Un essai clinique de plus grande ampleur est en cours de réalisation avec 142 patients, ce qui pourrait permettre de confirmer, souhaitons-le, l'intérêt potentiel de cette technique sur des symptômes très invalidants.
 
En savoir plus :
Avatar therapy for persecutory auditory hallucinations: What is it and how does it work?, Julian Leff et coll., Psychosis, juin 2014 (article complet, en anglais)
Computer-assisted therapy for medication-resistant auditory hallucinations: proof-of-concept study, Julian Leff et coll., The British Journal of Psychiatry, juin 2013 (étude pilote, PDF en anglais)

Sur VIDAL.fr : 
Acrophobie, ou peur du vide : le CNRS met au point une "cyberthérapie"
(septembre 2014)
Sources

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