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Santé mentale : les 30 propositions du rapport de Denys Robiliard

Denys Robiliard, rapporteur de la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, a présenté à Marisol Touraine son rapport d’information le 8 janvier. Ce rapport comporte 30 propositions pour rénover le dispositif de soins psychiatriques et "replacer l’usager au cœur de ce dispositif".

Ce rapport a été élaboré à partir de l’analyse des rapports antérieurs, des données sur les soins psychiatriques, de l’audition de 178 personnes (associations, professionnels de santé, chercheurs et experts) et de plusieurs déplacements dans les structures de soins psychiatriques.

Résumé d’une partie des analyses et recommandations ci-dessous.
10 janvier 2014 Image d'une montre7 minutes icon 2 commentaires
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Comment améliorer la prise en charge des troubles de la santé mentale en France (image d'illustration) ?

Comment améliorer la prise en charge des troubles de la santé mentale en France (image d'illustration) ?


Les troubles psychiatriques, un "véritable enjeu de santé publique"
En introduction de son rapport (consultable sur le site de l'Assemblée Nationale, fichier PDF), M. Denys Robiliard rappelle l'importance des troubles de la santé mentale en France :
- 1 personne sur 4 est susceptible de développer au cours de sa vie un trouble en santé mentale ;
- 1,3 million de patients de plus de dix-huit ans ont été pris en charge, en France, par le système de soins psychiatriques en 2008 ;
- environ 200 000 personnes font une tentative de suicide et 11 000 en décèdent chaque année. Le suicide est la première cause de mortalité chez les personnes âgées entre 25 et 34 ans ;
1 % de la population française souffre de troubles schizophréniques et 2 % de troubles de l'humeur ;
- En 2011, 280 000 patients ont été suivis en établissement de santé pour troubles dépressifs.

Ces troubles ont un impact sanitaire majeur et un coût économique et social élevé (prévention, diagnostic, traitement), estimé  à 107 milliards d'euros par an par la Cour des Comptes en 2011. 

Depuis 2000, 15 rapports ont déjà multiplié les propositions et actions
Face à l'ampleur des troubles de la santé mentale, le Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 et celui de 2011 – 2015 ont été élaborés pour décloisonner la prise en charge, améliorer les droits des patients, renforcer la recherche, lutter contre la stigmatisation, favoriser la pluridisciplinarité, le diagnostic précoce et l'homogénéisation des prises en charge, etc.

Mais, comme l'a souligné le Dr Isabelle Montet, secrétaire générale du Syndicat des psychiatres des hôpitaux lors de son audition par la Mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie (MISMAP), "la psychiatrie est partout mais on ne trouve nulle part la réflexion de son organisation".

Néanmoins, une quinzaine de rapports publiés depuis 2000 ont multiplié les analyses et les propositions, "sans avoir vraiment abouti", regrette Denys Robiliard, qui a inclus dans son rapport un tableau (cliquez ici) regroupant les principales recommandations émises depuis 2000.  

Le constat de la MISMAP : des patients oubliés, un "recours problématique" à la contention…
L'"hospitalo-centrisme" a empêché une bonne articulation entre le sanitaire et le social, selon le rapport. De plus, l'hétérogénéité des secteurs psychiatriques a "oublié" deux types de population, les populations précaires et les demandeurs d'asile. Or, les personnes isolées, précaires, sans logement ont davantage de pathologies psychiatriques.

D'autres dysfonctionnements de la prise en charge en amont et en aval  ont été à nouveau constatés, en particulier :
- accès difficile à la première consultation, avec un délai de premier rendez-vous pouvant atteindre 6 mois ;
- cloisonnement entre médecine "traditionnelle" (somatique) et psychiatrie limitant les prises en charge multi-disciplinaires : le Pr Marion Leboyer (CH Henri-Mondor, Créteil) a rappelé que les maladies cardiovasculaires étaient la première cause de décès chez les patients atteints de troubles bipolaires ;
- recours problématique à la pratique de la contention et à l'isolement thérapeutique : selon une enquête menée par l'Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique, la contention est utilisée partout et est en augmentation, selon la moitié du personnel interrogé. Les raisons invoquées sont la diminution du nombre de soignants, la féminisation des équipes et le manque de formation des infirmiers et des jeunes médecins. "Plus la psychiatrie va mal, plus la contention sera utilisée", regrette le Dr Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux ;
- des moyens inégalement répartis, en particulier dans les hôpitaux généraux : dans ces établissements, la tarification à l'activité (T2A) cohabite avec l'activité de psychiatrie financée par une dotation globale annuelle fixée par l'Agence Régionale de Santé. M Edouard Couty a souligné que "lorsqu'un hôpital général est déficitaire du fait de la T2A, on vient prendre sur la masse du budget global de la psychiatrie pour rééquilibrer les comptes de l'établissement" ;
- une vacance des postes en psychiatrie publique (70 postes sur 366 en Nord-Pas-de-Calais par exemple) qui risque de s'accentuer à l'avenir, avec les départs à la retraite de 40 % des psychiatres d'ici 7 ans ;
- la disparition progressive des infirmiers psychiatriques suite à la suppression de leur formation spécifique (création d'un diplôme unique d'infirmier en 1992). Or, ces infirmiers privilégiaient le relationnel et savaient mieux gérer les crises, selon Mme Danièle Hagen, cadre de santé. Par contre, cette réforme a permis une meilleure prise en charge somatique des patients ;
- un financement public insuffisant de la recherche, même si la France obtient tout de même "de très bons résultats dans certains domaines" (4ème rang européen et 9ème mondial sur les publications scientifiques).

Améliorer l'offre de soins : "la solution des conseils locaux de santé mentale"
Contrairement à d'autres expertises, la MISMAP ne recommande pas de supprimer la sectorisation en psychiatrie, mais de "la rénover" :
- en améliorant l'articulation entre les établissements publics et privés : les cliniques privées en psychiatrie sont très inégalement réparties sur le territoire. De plus, elles ont tendance à se spécialiser dans les troubles de l'humeur : la dépression représenterait 45 % de la patientèle des cliniques privées, précise le rapport. Les Agences Régionales de Santé (ARS) pourraient organiser une meilleure complémentarité territoriale ;
- en multipliant les Conseils locaux de santé mentale (CLSM) : ces structures, qui impliquent les élus locaux, ont émergé au début des années 2000. Elles permettent la confrontation des avis, des prises en charge, des méthodes de travail. Il y en a désormais plus d'une centaine en France, soutenues par les ARS. Denys Robiliard suggère d'encourager leur développement et d'étendre leur périmètre d'activité à la pédopsychiatrie et à la psychiatrie du sujet âgé ;
- en renforçant l'intersectorialité, par exemple en généralisant le dispositif des équipes mobiles psychiatrie précarité, afin de réussir à mieux prendre en charge les personnes isolées, en difficulté. Pour les personnes âgées, il faudrait, toujours selon ce rapport, décloisonner le secteur hospitalier et le secteur médico-social (EHPAD notamment), avec des allers retours possibles.

Améliorer la prise en charge : "le rôle clé des médecins généralistes"
Le Dr Vincent Girard, psychiatre à l'hôpital Sainte-Marguerite de Marseille, a insisté sur le fait qu'environ 30 % des personnes atteintes de schizophrénie se rétablissent dans les 5 ans, 30 % beaucoup plus tard.

La prise en charge intégrée, cumulant soins médicaux et réinsertion sociale, rend possible ces processus de rétablissement, même si, malheureusement, après 25 ans, un tiers ne se rétablissent pas.

Pour optimiser cette prise en charge intégrée, les auteurs soulignent le rôle clé des médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours, facile d'accès et non stigmatisant, pour un patient ayant des troubles psychologiques ou psychiatriques. Ils gèrent d'ailleurs la majeure partie des prescriptions de psychotropes en France.

Afin d'améliorer l'efficience de ces premiers recours, la MISMAP préconise de renforcer la formation des médecins généralistes "afin qu'ils puissent détecter les troubles psychiatriques et orienter au mieux les patients en incluant un stage obligatoire en psychiatrie, en secteur hospitalier et en ambulatoire, dans la formation initiale et en renforçant la formation continue dans le domaine de la psychiatrie".

Le Rapporteur recommande également "d'encourager les consultations de psychiatres dans les maisons de santé, de favoriser les échanges entre le médecin généraliste et le psychiatre pour assurer un suivi optimal du patient et enfin d'appuyer les échanges et collaborations dans le cadre du secteur".

Au-delà de ces aspects, d'autres propositions sont émises pour accentuer l'accessibilité aux centres médico-psychologiques (CMP), soutenir l'articulation avec le médico-social, mieux coordonner l'ensemble des acteurs, favoriser la prise en charge somatique. Cette dernière pourrait par exemple s'améliorer en mixant, dans les établissements spécialisés, des lits de psychiatrie avec des lits de médecine générale et d'autres soins (exemple : dentaires).

Renforcer les outils de démocratie sanitaire
Denys Robiliard recommande de limiter dans le temps et d'utiliser en dernier recours l'isolement thérapeutique et la contention. Leur mise en œuvre "doit faire l'objet d'une surveillance stricte".

Afin de développer l'entraide mutuelle des usagers et de leur famille, le Rapporteur incite au développement de maisons des usagers au sein des établissements de santé mentale et encourage la constitution de Groupes d'Entraide Mutuelle. Il faudrait aussi rendre effective la représentation des usagers dans les instances de santé publique permise par la loi du 4 mars 2002.

Autres recommandations : organisation des établissements, rôle des psychologues, financement, recherche…
Le rapport contient d'autres recommandations sur la mise à disposition de logements adaptés, le renforcement de l'aide à l'insertion professionnelle (qui diminue les risques d'hospitalisation et augmente les chances d'obtenir ensuite un emploi non aidé), l'amélioration de la prise en charge des 30 % de détenus atteints de pathologies psychiatriques (renforcement du nombre de professionnels dans les prisons, sensibilisation du personnel aux pathologies psychiatriques, améliorer la coordination entre le pénitentiaire et le médical à la sortie, etc.).  

Un rôle renforcé des psychologues cliniciens en premier recours est également souhaité (remboursement par l'Assurance Maladie ?), ainsi qu'une évolution de la formation des psychiatres et des infirmiers.

Sensibiliser les internes en psychiatrie à la recherche en santé mentale, tout en augmentant le financement public de celle-ci renforcerait son efficacité. Les auteurs recommandent de coupler la recherche clinique et la recherche sociologique, par exemple avec des enquêtes de population (exploitations des données de santé, cf. la deuxième partie de cet article) afin de soutenir l'innovation, sa fiabilité et donc sa diffusion.  

Développer la culture de l'évaluation en psychiatrie ("allergie à l'évaluation et aux recommandations de bonne pratique", selon le Pr Frédéric Rouillon, Saint-Anne, Paris) optimiserait également la mise en œuvre des innovations.

 Récapitulatif des 30 propositions (extraites du rapport complet, accessible en cliquant ici) :

 

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Pour la mise en œuvre de ces recommandations, le Rapporteur préconise de… "diminuer le nombre de rapports et donner la priorité à la mise en oeuvre des recommandations récurrentes".

Cette mise en œuvre sera-t-elle rendue possible par les futures évolutions du système de santé prévues par le ministère ? Marisol Touraine a en tout cas rappelé "que la santé mentale constituait une des cinq priorités de santé publique de la stratégie nationale de santé annoncée le 23 septembre 2013".

Jean-Philippe Rivière

Sources et ressources complémentaires :
- "Mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie", articles et vidéos des auditions sur le site de l'Assemblée Nationale
- "Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du Règlement par la Commission des Affaires Sociales en conclusion des travaux de la mission sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie" et présenté par M. Denys Robiliard
-  "Santé mentale et avenir de la psychiatrie : Remise du rapport de Denys Robiliard à Marisol Touraine", communiqué du ministère de la santé, 8 janvier 2014
- "« Santé mentale : quand la démocratie soigne » : mon rapport final est adopté", site de Denys Robiliard, 19 décembre 2013
- "L'organisation des soins psychiatriques : les effets du Plan psychiatrie et santé mentale (2005-2010)", Cour des comptes, décembre 2011
- "Les Conseils locaux de santé mentale" (fichier PDF), historique, présentation, exemples, points de vue,  Drs Serge Kannas et Jean Luc Roelandt, Pluriels n°87/88, janvier-février 2011

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PRENCHERE Il y a 10 ans 0 commentaire associé
Voici programmé la disparition des psychiatres libéraux qui font pourtant l'essentiel du travail de la psychiatrie. Non seulement ils sont souvent de meilleurs cliniciens, mais ils n'utilisent pas le pouvoir de coercition des services de psychiatrie. C'est une particularité française que l'usage de l'hospitalisation publique ou privée, en France, lieu d'infantilisation et de régression le plus souvent, où la soumission est absolue. En psychiatrie libérale, une élaboration est possible et même nécessaire. Dorénavant les malades ne seront pas tant en souffrance, que considérés comme déficient génétique que le psychiatre soigne. Plus question de se soigner. Cette déresponsabilisation va sûrement plaire à certains, mais enfermer d'autres dans un handicape qui sera à compenser socialement. Il est frappant de voir combien les hospitaliers veulent ressembler à leurs collègues et se parer de la science! Le reflux se fera sur les psychologues aux formations de plus en plus incertaines mais qui permettrons de sérieuses économies à la sécu... Vive le progrés
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