#Médicaments #Disponibilité

"Les ruptures de stock vont devenir un fléau" Isabelle Adenot, présidente de l'Ordre National des Pharmaciens

Les médecins, pharmaciens et bien sûr patients sont de plus en plus confrontés à des difficultés d’approvisionnement et des ruptures de stock de médicaments. 

Quelles sont les causes de ces difficultés ? Comment les pharmaciens les gèrent-ils au quotidien ? Quels sont les leviers d’amélioration ?

Isabelle Adenot, pharmacienne en officine et présidente de l’Ordre National des Pharmaciens, nous fait part de son expérience et d’une initiative de l’Ordre qui pourrait améliorer, au moins, l’information en temps réel sur la disponibilité des produits de santé. 
21 août 2013 04 octobre 2018 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Isabelle Adenot est actuellement titulaire d’une officine parisienne.

Isabelle Adenot est actuellement titulaire d’une officine parisienne.

 
VIDAL : Les pharmaciens d'officine sont régulièrement confrontés à des difficultés d'approvisionnement ou des ruptures de stock. A quoi est dû ce phénomène ?

Dr Isabelle Adenot : Les ruptures sont notamment liées à la mondialisation de la fabrication (délais de transports), à la centralisation sur une seule usine d'une des étapes de fabrication (étape compromise en cas de catastrophe naturelle, par exemple), au renforcement des normes de qualité qui nécessitent des adaptations dans les usines et donc leur fermeture temporaire, notamment en Asie. Elles peuvent aussi être dues à l'augmentation de la consommation, par exemple causée par une accentuation de la demande dans les pays émergents, ou encore par un changement de recommandation des autorités sanitaires : du jour au lendemain les médecins ne prescrivent plus tel médicament mais un autre.

VIDAL : Ce phénomène est-il en augmentation ?

Dr Isabelle Adenot : Oui, et je suis intimement convaincue que les ruptures d'approvisionnement vont devenir à court terme un fléau. Et encore, en France, le système est régulé : les grossistes-répartiteurs ont l'obligation d'avoir 15 jours de stock et 90 % des médicaments mis sur le marché,  tandis que c'est une véritable catastrophe au niveau mondial. Au-delà de la nécessaire amélioration de la gestion des stocks et de l'action sur les causes de ces ruptures, il faut qu'il y ait rapidement une amélioration de la gestion de l'information, pour pouvoir trouver plus facilement et plus rapidement une alternative thérapeutique.

VIDAL : Comment les pharmaciens sont-ils informés aujourd'hui de ces ruptures ?

Dr Isabelle Adenot : Nous sommes informés par la suite donnée à nos commandes passées auprès de nos fournisseurs, les grossistes-répartiteurs de médicaments. En pratique, nous utilisons un logiciel, Pharma-ML, sur lequel nous passons commande, auprès d'un fournisseur, de tant de boîtes de tel médicament. Immédiatement, le grossiste nous informe, via Pharma ML, de la disponibilité de ce médicament. En cas d'indisponibilité, le pharmacien d'officine se tourne alors tout de suite vers un autre fournisseur. En cas d'indisponibilité chez ce dernier (ou un autre supplémentaire), le pharmacien essaie à nouveau le lendemain.

Si, au bout de 72 heures, le pharmacien ne peut pas se procurer la spécialité requise, il y a rupture d'approvisionnement, comme défini par le décret n°2012-1096 du 28 septembre 2012. Le pharmacien contacte alors le laboratoire et lui demande des explications et informations sur les possibilités éventuelles de dépannage.

VIDAL : Quelles sont les suites données aux remontées d'informations des pharmaciens ? 

Dr Isabelle Adenot : Si la situation perdure (indisponibilité pendant plus de 48 heures), le laboratoire, prévenu par un pharmacien, contacte les autorités sanitaires pour déterminer les suites à donner. L'alternative thérapeutique peut par exemple être trouvée en important une spécialité équivalente ou en modifiant temporairement l'AMM d'un autre produit.

Cette décision et les consignes résultantes sont  transmises à l'Agence Régionale de Santé et à l'ANSM. Elles sont également relayées dans les pharmacies d'officine par un système crypté et sécurisé, DP-Alerte. Les laboratoires sont en effet tenus de renvoyer aux pharmaciens une information par DP-Alerte lorsqu'une rupture leur a été signalée par l'un d'entre eux. Cette réponse du laboratoire s'affiche alors sur tous les postes informatiques de toutes les pharmacies, en ville et à l'hôpital.

VIDAL : En attendant le retour des autorités sanitaires et laboratoires, que peut faire le pharmacien ?

Dr Isabelle Adenot : A l'officine, le pharmacien va chercher une autre solution, en appelant par exemple ses confrères pour savoir s'il leur reste des boîtes. Si ce n'est pas le cas, le pharmacien va appeler le médecin pour qu'il lui propose d'autres solutions thérapeutiques. En général cela se passe bien, même si parfois des médecins sont exaspérés par ces appels… mais nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes le médicament manquant ! A l'hôpital, le pharmacien a déjà cherché des alternatives et n'a pas vraiment de solution.

VIDAL : Les pharmaciens d'officine peuvent-ils anticiper ces ruptures d'approvisionnement ?

Dr Isabelle Adenot : Non, actuellement les pharmaciens ne peuvent pas les anticiper, et nous le déplorons : lorsque cela arrive  à un pharmacien d'officine, il dispose de cette information mais, faute de moyens de diffusion, il la garde, ce qui ne permet pas à ses confrères d'être au courant, et donc de prévoir une éventuelle rupture sur leur secteur.

C'est pour cela que nous avons élaboré un logiciel pour les pharmaciens d'officine, hospitaliers et les grossistes-répartiteurs. Ce logiciel, que nous avons nommé "DP-Ruptures", va permettre d'informer en temps réel les laboratoires et les autorités sanitaires de ces ruptures, avant même le délai de 72 heures prévu par le décret. Ce logiciel sera déployé par l'intermédiaire du DP (Dossier Pharmaceutique), qui équipe 98 % des pharmacies.

VIDAL : Quand ce système de remontées d'informations en temps réel sera-t-il disponible ?

Dr Isabelle Adenot : DP-Ruptures est actuellement testé, en version pilote, dans 200 pharmacies françaises. Ce dispositif-pilote va impliquer une dizaine de laboratoires, quelques grossistes, l'ANSM et le ministère de la santé. Si tout se passe bien, il sera déployé au niveau national en novembre, à l'occasion de la Semaine du médicament.

L'utilisation de DP-Ruptures multipliera les remontées d'information et donc les réponses des laboratoires, ce qui devrait permettre d'anticiper et de mieux gérer les difficultés. 

Les médecins n'ont par contre pas de système équivalent pour le moment.

VIDAL : D'une manière générale, comment améliorer la disponibilité en officine des produits de santé ?

Dr Isabelle Adenot : Il faut déjà améliorer le flux de l'information, comme cela a été fait, par exemple, pour la possibilité de substitution du LEVOTHYROX par de l'EUTIROX, qui a été très bien gérée.  Notre logiciel permettra normalement de renforcer nettement l'information en temps réel dans toutes les pharmacies, et donc d'accélérer la mise en oeuvre des solutions.

Ensuite, il faudrait agir sur les causes que nous avons évoquées, qui sont en grande partie liées à des contraintes financières, qui induisent une gestion en flux tendus. Il faudrait par exemple que l'industrie pharmaceutique augmente ses "zones tampons" et que les pharmaciens aient davantage de stocks en officine, mais tout cela coûte cher…

Propos recueillis le 21 août 2013

En savoir plus :
- Biographie d'Isablle Adenot, sur le site de l'Ordre National des Pharmaciens
- Le site de Pharma-ML
- "Décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain", Journal Officiel
- Présentation du Dossier Pharmaceutique (DP) sur le site de l'Ordre National des Pharmaciens
Sources

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