#Santé publique

Transparence des liens d’intérêt : parution de deux décrets au Journal Officiel

L’article 1 de la loi "Bertrand" du 29 décembre 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament prévoyait la mise en place d’une charte de l’expertise sanitaire. Quant à l’article 2, il instaurait une obligation faite aux laboratoires pharmaceutiques de "rendre publique l'existence des conventions" passées avec les différents acteurs du système de santé.

Deux décrets viennent préciser les modalités d’application de ces deux articles destinés à améliorer la transparence du système : "si les relations entre professionnels de santé et industries sont indispensables au progrès médical, leur connaissance est un instrument de confiance entre les citoyens et le système de santé", explique Marisol Touraine, ministre de la santé.
22 mai 2013 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Les laboratoires versant des avantages

Les laboratoires versant des avantages "en nature ou en espèces" sont désormais tenus de les déclarer en détails.


Publication des conventions à partir d'un seuil de 10 euros
Le décret n°2013-414 du 21 mai 2013, publié au Journal Officiel du 22 mai, prévoit "la mise à disposition du public (…) de tous les avantages [consentis aux professionnels] en nature ou en espèces d'une valeur supérieure ou égale à 10 €" TTC.

Qui est concerné ?
Cela concerne les conventions conclues entre les entreprises du médicament (ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, certains produits cosmétiques ou de tatouage), les agences de communication santé et autres prestataires de service avec des professionnels de santé : médecins, mais aussi pharmaciens, professions paramédicales (kinésithérapeutes, infirmiers, etc.).

Les associations, établissements, fondations, sociétés savantes, entreprises éditrices de presse, éditeurs de services radio ou de télévision, éditeurs de service de communication au public en ligne, éditeurs de logiciels d'aide à la prescription et à la délivrance sont également concernés.

Ces dispositions concernent les conventions "procurant des avantages en nature ou en espèces" de plus de 10 euros (remise gratuite d'un ouvrage, d'un chèque-cadeau, invitation à un restaurant, etc.).

Mais ces dispositions ne concernent pas les conventions qui "ont pour objet l'achat de biens ou de services entre ces mêmes entreprises et ces personnes, associations, établissements, fondations, sociétés, organismes et organes" (conférences, animation de congrès, études cliniques financées par un laboratoire, etc.). Une restriction de la transparence sur les possibles liens d'intérêt qui déplaît fortement aux représentants des médecins, en particulier au Conseil National de 'Ordre des Médecins (CNOM), qui envisage du coup "un recours au Conseil d'Etat" contre ce décret

Les informations sur les conventions passées qui seront rendues publiques
Les laboratoires devront tout d'abord communiquer l'identité de la personne concernée par la convention :
- s'il s'agit d'un professionnel de santé : le nom, le prénom, la qualité, l'adresse professionnelle et, le cas échéant, la qualification, le titre, la spécialité, le numéro d'inscription à l'ordre ou l'identifiant personnel dans le répertoire partagé des professionnels de santé ;
- s'il s'agit d'un étudiant : le nom, le prénom, l'établissement d'enseignement et, le cas échéant, l'identifiant personnel dans le répertoire partagé des professionnels de santé ;
- s'il s'agit d'une personne morale : la dénomination sociale, l'objet social et l'adresse du siège social.

Les laboratoires devront aussi communiquer leur identité, la date et signature de la convention, son objet (en respectant le secret professionnel, précise le décret), le programme de l'éventuelle manifestation concernée, et le montant," toutes taxes comprises, arrondi à l'euro le plus proche, la date et la nature de chaque avantage perçu par le bénéficiaire".

Une mise à disposition sur les sites des Ordres et ceux des laboratoires… et bientôt sur un site public unique
Ces informations doivent être rendues publiques sur le site internet du Conseil national de l'ordre concerné (lorsqu'elles intéressent un professionnel de santé) et sur le site internet de l'entreprise "au sein d'une rubrique dédiée, identifiable et accessible librement et gratuitement".

Elles devront aussi être rendues publiques sur un site internet public unique (après avoir été transmises par le laboratoire), lorsque ce dernier sera prêt. Elles seront accessibles sur ce site pendant une durée de cinq ans et devront être archivées pendant 10 ans.

Ces données devront, toujours selon ce décret, être protégées de l'indexation par les moteurs de recherche. Ces derniers étant les principaux moyens d'accès à l'information pour le grand public, cela devrait limiter l'accessibilité à ces données, en particulier à chaque fois que quelqu'un cherche une information sur un professionnel de santé.

Une première publication prévue le 1er octobre 2013
Les informations relatives aux conventions conclues et aux avantages consentis au cours de l'année 2012 "doivent être transmises aux conseils nationaux des ordres des professions de santé au plus tard le 1er juin 2013 et publiées au plus tard le 1er octobre 2013". Un délai "excessivement court pour permettre aux entreprises de s'organiser", selon le Leem (syndicat "Les entreprises du médicament").

L'entreprise du médicament est également tenue de transmettre les informations à l'autorité responsable du site internet public unique "dans un délai de quinze jours après la signature de la convention".

Jusqu'à 45 000 euros d'amende en cas de fausse déclaration
Pour Marisol Touraine, interviewée le 22 mai dans le journal Le Parisien, le but de ces dispositions "est de moraliser les relations entre les industriels et le monde de la santé", afin de restaurer la confiance des Français dans les médicaments.

La Ministre de la santé précise que les informations publiées pourront être contrôlées par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). En cas de fausse déclaration, "les amendes pourront aller jusqu'à 45 000 euros".

Une charte de l'expertise sanitaire prône également la transparence
Le décret n°2013-413, également publié le 22 mai au Journal Officiel, concerne cette fois-ci avant tout les médecins susceptibles de prescrire ou les acteurs susceptibles d'influer sur la prescription. L'expertise médicale, ou plutôt son indépendance, a été remise en cause ces dernières années, en particulier lors de la gestion de la crise de la grippe A/H1N1. C'est pourquoi la loi "Bertrand" avait prévu qu'une charte régisse les expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire par les commissions, conseils, autorités ou organismes chargés de la santé.

Cette charte prévoit notamment que le processus de désignation ou sélection des experts soit rendu public. En ce qui concerne la gestion des liens d'intérêt, l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise doit "analyser les liens déclarés par l'expert et évaluer les risques de conflits d'intérêt".

C'est à l'organisme de déterminer si les liens d'intérêt font obstacle à la participation de l'expert. Il doit faire part de cette analyse (et des éventuelles mesures mises en œuvre pour prévenir les conflits d'intérêt) dans l'avis, la recommandation ou le rapport produit par l'expertise.

 Du côté de l'expert, il doit aussi, de lui-même, évaluer s'il présente un risque de conflit d'intérêt, auquel cas il peut estimer "en conscience devoir s'abstenir".  

En résumé…
Suite aux récentes "affaires", les décrets des articles de la loi Bertrand concernant la transparence (pendant du "Sunshine Act" américain) étaient très attendus. Le gouvernement actuel a opté pour un seuil très faible (10 euros) de déclarations d'avantages perçus, avec une publication sur un site public, mais non indexé par les moteurs de recherche. Le texte entre en vigueur dès le 23 mai.

Le ministère de la santé informe qu'une circulaire d'interprétation du décret n°2013-414 sera publiée dans les prochains jours. 

Jean-Philippe Rivière

Edit 23 mai : correction sur les entreprises concernées et ajout de la réaction du CNOM

Sources et ressources complémentaires :
- "Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme", JORF n°0116 du 22 mai 2013 page 8407 texte n° 6
- "Décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire prévue - à l'article L. 1452-2 du code de la santé publique", JORF n°0116 du 22 mai 2013 page 8405 texte n° 5
- "LOI n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé", JORF n°0302 du 30 décembre 2011 page 22667 texte n° 1
- "« Sunshine Act » : Transparence entre professionnels de santé et industries pharmaceutiques et indépendance de l'expertise", communiqué du ministère de la santé, 22 mai 2013
- - "Décret sur la transparence des liens : le Leem déplore la lourdeur du système", communiqué de presse du Leem, 22 mai 2013
- "Touraine met les médecins sous surveillance", Leparisien.fr, 22 mai 2013 (article intégral payant)
- "Décret sur la publication des liens d'intérêt et la transparence : nous sommes très loin du compte", CNOM, 23 mai 2013

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